Ce dossier était très mal parti.

Heureusement, le gouvernement Trudeau vient d’appuyer sur pause : les consultations de Santé Canada sur les hausses de taux de plusieurs pesticides sont suspendues au moins jusqu’au printemps 2022.

Santé Canada ne statuera pas tout de suite sur la demande de la multinationale Bayer, le fabricant du Roundup, pour hausser les limites de glyphosate – le controversé pesticide le plus vendu au monde – dans certains aliments. Ni sur la demande de Syngenta, un fabricant qui veut augmenter les limites de certains pesticides dans les bleuets et les framboises.

Même en se forçant, Santé Canada aurait difficilement pu faire pire en matière de communications et de transparence. Dans le dossier du glyphosate, les documents de l’agence fédérale n’étaient pas clairs, des journalistes ont dû insister pour connaître le nom du « demandeur » (Bayer), et Santé Canada semblait incapable de faire la démonstration qu’il n’existe pas de « risques inacceptables » pour la population. Tout ça alors que « la tendance souhaitée va à la réduction des pesticides, pas à leur augmentation », écrivait récemment notre collègue Philippe Mercure.

Lisez l'éditorial de Philippe Mercure du 22 juillet

S’il n’y avait que les erreurs de communications…

Plus on regarde de près, plus on constate un problème de fond : le système d’autorisation des pesticides au Canada a été conçu principalement pour les fabricants de pesticides.

Il est grand temps de le revoir de fond en comble. Pour mettre les intérêts des consommateurs et des producteurs agricoles devant ceux des fabricants de pesticides.

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On veut tous manger les aliments les plus sains et les plus naturels.

Il est toutefois illusoire de penser qu’on pourra se débarrasser complètement des pesticides, qui permettent aux agriculteurs de préserver leurs champs des insectes ravageurs, des champignons et des vers parasites. Vaut mieux donc réglementer l’usage des pesticides.

Devant le tollé – particulièrement au Québec – provoqué par les dernières consultations de Santé Canada sur les hausses de pesticides, le gouvernement Trudeau a annoncé une mini-réforme :

• davantage de place pour les données indépendantes de celles des fabricants de pesticides ;

• des groupes d’experts indépendants pour conseiller Santé Canada ;

• une révision de la loi fédérale sur les pesticides.

C’est un bon début. Mais le prochain gouvernement devra en faire davantage après la campagne électorale.

À tort ou à raison, on a l’impression que Santé Canada approuve machinalement les demandes de l’industrie. En se fiant aux données scientifiques des fabricants.

À l’avenir, Santé Canada devrait partir du principe suivant : on veut diminuer la quantité de pesticides dans notre assiette.

Évaluer si on a une preuve suffisante qu’un pesticide comporte des risques pour la santé est une chose. Évaluer le bienfait d’un pesticide dans un contexte où on veut réduire graduellement l’utilisation des pesticides en est une autre. Comme philosophie, Ottawa doit choisir la deuxième option.

L’industrie des pesticides estime que le Canada devrait s’aligner sur les taux de pesticides du « Codex alimentaire », le programme international codirigé par l’Organisation mondiale de la santé. Le Codex établit des standards minimaux en matière de sécurité alimentaire. Rien n’empêche un pays d’être plus sévère. L’Europe et les États-Unis ne s’en privent pas.

Santé Canada devrait appliquer de façon plus large le principe de précaution dans son évaluation scientifique, comme le fait l’Union européenne. Dans le milieu scientifique, on lui suggère depuis des années d’étudier davantage les effets des familles de pesticides et des produits commercialisés1.

Côté transparence, il y aura beaucoup de travail à faire. Jusqu’à mercredi, un fabricant de pesticides pouvait faire une demande sans dévoiler son identité au public. L’accès au dossier (caviardé pour des raisons de confidentialité) était compliqué pour les acteurs de la société civile. La durée de la période de consultations était relativement courte.

Au moins, Ottawa vient d’augmenter cette semaine le budget de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada – qui prend les décisions pour les dossiers de pesticides – de 48 millions à 62 millions par an. En vue du dernier budget fédéral, des groupes environnementaux et le lobby des fabricants de pesticides demandaient à Ottawa de hausser le budget de l’ARLA.

Quand ces gens-là s’entendent, il n’y a pas de doute possible : l’ARLA était vraiment sous-financée !

1. Ces deux solutions ont notamment été suggérées par Louise Hénault-Éthier, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et directrice du Centre Eau Terre Environnement, lors de ses études doctorales en 2013.

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