Dans une scène célèbre de la bande dessinée, Lucy demande à son ami Charlie Brown de botter le ballon de football qu’elle tiendra au sol. Mais à la dernière seconde, Lucy retire le ballon et le pauvre Charlie Brown tape dans le vide avant de tomber par terre.

Charlie Brown jure de ne pas se faire reprendre au piège. Mais Lucy trouve toujours une nouvelle façon de le convaincre. Chaque fois, elle retire le ballon et Charlie Brown finit les quatre fers en l’air.

C’est un peu le même principe pour la ville hôtesse des Jeux olympiques.

Une ville obtient les JO du Comité international olympique (CIO) en disant à ses citoyens : ça va coûter tant de milliards. Mais on ne compte pas toutes les dépenses. Et le budget explose au fil des ans. Si bien qu’à la fin, les contribuables du pays hôte se retrouvent avec une facture gonflée à l’hélium.

À Tokyo, la facture totale sera d’environ 30 milliards US, dont 24 milliards financés par les contribuables japonais.

Le CIO vous répondra que ce sont les pays hôtes qui font les budgets et qui bénéficient ensuite des infrastructures. À Vancouver, le plus grand héritage des Jeux de 2010 est la Canada Line, cette ligne aérienne de transports en commun de 2,1 milliards qui a inspiré le REM à Montréal. Sauf qu’on n’avait pas besoin des Jeux pour la construire. La preuve, on construit actuellement le REM sans que Montréal accueille les Jeux olympiques…

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Vous ne vous sentez pas concernés par le débat sur le coût des JO ? Pas si vite…

En février dernier, les collègues Simon Drouin et Alexandre Pratt ont révélé que le Comité olympique canadien étudiait la possibilité de présenter une candidature conjointe Montréal-Toronto pour des Jeux olympiques d’été durant la décennie 2030. L’idée : profiter des installations sportives existantes pour réduire le coût des Jeux. À Vancouver, l’idée circule aussi d’accueillir à nouveau les Jeux d’hiver, peut-être dès 2030.

Avec son Agenda 2020, le CIO veut depuis quelques années réduire les coûts des Jeux et diminuer quelque peu la concurrence entre les villes intéressées.

En 2026, pour la première fois de l’histoire, les Jeux auront lieu dans deux villes hôtesses, Milan et Cortina d’Ampezzo en Italie1. Et la semaine dernière, le CIO a accordé les Jeux d’été de 2032 à Brisbane, en Australie, en négociant exclusivement avec cette ville. Brisbane jure que ses Jeux ne coûteront que cinq milliards US. On verra dans 11 ans si l’histoire de Charlie Brown se répétera…

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Le Canada pourrait tester véritablement la nouvelle philosophie du CIO en lui faisant une proposition inédite : tenir l’évènement dans plusieurs villes à travers le pays, et uniquement dans des installations sportives déjà construites.

On oublie les nouvelles infrastructures sportives.

On oublie un stade majestueux pour les cérémonies d’ouverture ou de clôture.

On oublie les grands projets d’infrastructures en parallèle (ex. : routes, transports en commun) pour épater la visite.

On laisse notre ego de côté.

Et on accueille des Jeux modestes.

Bien sûr, l’expérience pour les athlètes serait quelque peu diminuée. Les athlètes seraient dispersés dans plusieurs villes (ex. : Vancouver, Calgary, Toronto, Montréal). Ils ne marcheraient plus tous ensemble lors des cérémonies d’ouverture. Mais soyons francs : les JO sont devenus un immense spectacle télévisuel. Et c’est un moindre mal pour redresser ce modèle financier injuste pour les contribuables des pays hôtes.

L’idée d’accueillir des Jeux dans plusieurs villes au Canada est-elle réaliste ? Les dépenses en matière de sécurité – un poste budgétaire majeur – se chiffreront sans doute encore en milliards de dollars. Coûtera-t-il moins cher ou plus cher de surveiller des sites dans quatre villes que dans une seule ? Seule une étude sérieuse et approfondie permettrait de répondre à ces questions. Et de voir si le jeu en vaut la chandelle.

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En définitive, la baisse des coûts des Jeux dépendra de la loi de l’offre et de la demande. Tant qu’il y aura des villes prêtes à satisfaire aux exigences du CIO, les coûts risquent de rester prohibitifs.

Pour les Jeux d’été de 2032, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, la Hongrie et le Qatar étaient aussi intéressés. Il y a là de sérieux adversaires pour le Canada – et surtout, trop de concurrence pour vraiment faire baisser les coûts.

Pour les Jeux d’hiver, la concurrence est beaucoup moins forte. En plus, le Canada est un pays hivernal. C’est de ce côté que le Comité olympique canadien et les politiciens devraient regarder s’ils veulent tenter leur chance.

À condition de proposer les Jeux les moins chers de l’histoire. Uniquement dans des infrastructures sportives existantes. Dans plusieurs villes si c’est réaliste.

Et surtout, à condition de bien évaluer tous les coûts dès le départ.

Pas question que les contribuables se retrouvent encore une fois les quatre fers en l’air comme Charlie Brown.

1. En 1956, les Jeux d’été ont eu lieu à Melbourne en Australie, sauf les compétitions équestres qui ont eu lieu à Stockholm en Suède.

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