Tout au long de l’été, l’équipe éditoriale de La Presse part à la recherche de façons de réinventer la santé.

Le beau temps est là et le moment est propice aux listes de lectures d’été. Vous nous permettrez une suggestion : allez lire ce qu’a écrit le Vérificateur général du Québec au sujet de la « mesure de l’accès aux soins de santé et aux services sociaux ».

On est loin de Marc Levy ou d’Alexandre Jardin, direz-vous.

C’est vrai.

Mais si vous lisez notre éditorial, c’est que l’idée de « réinventer la santé » vous intéresse, après tout !

Ce rapport – qui n’a pas eu le retentissement qu’il méritait, en raison de la pandémie – a été publié l’automne dernier. Il brosse un portrait consternant du pilier de notre système de santé : la première ligne.

En somme, de tout ce qui tourne autour des cliniques qui constituent la porte d’entrée du réseau, incluant les groupes de médecine de famille.

Un cliché un peu usé permet d’illustrer à merveille les problèmes actuels : c’est comme si notre système de santé était une maison dont la fondation est endommagée.

Ainsi, quand la première ligne est fragile, les murs des urgences risquent fort de craquer.

Ça se vérifie, année après année, après année… Depuis trop longtemps.

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Mais la situation est encore plus tordue qu’elle en a l’air. Car on n’est même pas capable de connaître l’ampleur de la détérioration de la fondation de notre maison.

Le problème, c’est que pour évaluer l’accès aux services de première ligne, on se fie par-dessus tout au taux d’inscription auprès d’un médecin de famille.

Vous risquez fort d’entendre les représentants des omnipraticiens dire que l’accès s’améliore au Québec puisqu’au cours des dernières années, on a vu grimper le pourcentage de Québécois qui ont un médecin de famille.

Mais c’est un indicateur terriblement trompeur ! Le Vérificateur général rappelle que « l’inscription n’est pas une garantie de la disponibilité des médecins de famille pour rencontrer les patients lorsque requis ».

Autrement dit, ce n’est pas parce que vous êtes sur la liste d’un médecin de famille que vous pouvez obtenir un rendez-vous facilement lorsque vous avez un besoin urgent.

D’autres chiffres reflètent davantage la réalité : ceux des visites ambulatoires. C’est-à-dire celles où l’on séjourne aux urgences sans occuper de civière.

Et ce sont des données accablantes.

En 2018-2019, près de trois de ces visites aux urgences sur quatre (71 %) étaient « celles de patients présentant des problèmes de santé jugés moins urgents ou non urgents lors du premier triage ». Et dans 72 % des cas, les patients avaient un médecin de famille.

Bon nombre de ces patients étaient forcément aux urgences parce qu’ils n’ont pas pu voir leur médecin de famille assez rapidement.

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Parlons d’argent, maintenant, puisque c’est le nerf de la guerre, en santé comme ailleurs. On vous prévient tout de suite, vous n’aimerez pas ce que vous allez lire.

On a évalué à 980,5 millions le montant versé aux omnipraticiens en trois ans (de 2016 à 2019) pour améliorer l’accès aux soins de première ligne.

Une somme colossale.

On n’a même pas le moyen de savoir si cet argent a changé la donne même un peu.

Chose certaine, c’est loin d’avoir réglé les problèmes d’accès. Ils demeurent flagrants.

Et on n’a pas encore parlé des quelque 750 000 Québécois qui sont encore en attente d’un médecin de famille !

* * *

On est pourtant passé bien près de forcer les omnipraticiens à faire davantage d’efforts pour améliorer l’accès.

La loi 20, adoptée par Québec alors que Gaétan Barrette était ministre de la Santé, avait prévu des sanctions si les objectifs fixés en matière d’accès n’étaient pas atteints. Ce mécanisme n’a toutefois jamais été mis en œuvre.

Les omnipraticiens ont eu des bonbons, mais ils échappent à la visite chez le dentiste.

Heureusement, les pires moments de la pandémie étant derrière nous, il semble désormais y avoir une volonté politique à Québec pour faire bouger les choses dans la bonne direction.

François Legault n’a d’ailleurs pas exclu l’idée de revenir à « l’approche de Gaétan Barrette ». C’est-à-dire imposer « des pénalités si un médecin de famille ne prend pas en charge un minimum de patients ». Il préfère toutefois s’entendre avec les médecins sur un nouveau mode de rémunération, qui tiendrait justement compte de la prise en charge de groupes de patients.

En réaction, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a poussé des cris d’indignation. C’était prévisible. Mais c’est affligeant.

Force est de reconnaître qu’on doit une fière chandelle aux médecins, comme à tous les autres travailleurs de la santé, qui ont porté le réseau à bout de bras depuis le début de la pandémie.

Mais on peut à la fois faire leur éloge ET déplorer l’attitude de leur fédération, qui persiste à bloquer les réformes qui permettraient de colmater les brèches de la première ligne.

Le statu quo – qui a pourtant coûté près d’un milliard aux contribuables depuis trois ans – est intolérable.

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