Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Canada va avoir besoin de réponses claires et précises après l’écrasement en Iran du vol PS752 d’Ukraine International Airlines qui a ôté la vie à 63 Canadiens.

À la lumière des informations obtenues de diverses sources de renseignements jeudi suggérant qu’un missile sol-air iranien a abattu l’avion, le premier ministre Justin Trudeau a toutes les raisons du monde de demander une enquête « complète » et « approfondie » sur la tragédie. Une enquête à laquelle le Canada doit absolument prendre part.

Mercredi, le ministre François-Philippe Champagne n’a pas tardé à relayer le message à son vis-à-vis iranien, Mohammad Javad Zarif, qui s’est montré ouvert à ce que le Canada se joigne à l’enquête. C’est un bon début. Mais pour le moment, ce ne sont que des mots.

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Le problème, c’est que les troupes de Justin Trudeau ne se trouvent pas dans une position très avantageuse pour mettre de la pression sur le régime des ayatollahs, ne disposant d’aucune représentation diplomatique ou consulaire canadienne permanente dans le pays.

Et cet état de fait embarrassant, le pays le doit au gouvernement conservateur de Stephen Harper. En septembre 2012, alors qu’il était premier ministre, ce dernier a décidé de fermer l’ambassade du Canada à Téhéran, de rapatrier ses diplomates et de mettre à la porte du Canada les représentants iraniens sans crier gare. Ottawa disait vouloir protester contre les menaces de l’Iran à l’égard d’Israël et avait été applaudi par Benyamin Nétanyahou.

Et tant pis pour les Canadiens qui font des affaires en Iran et pour les quelque 200 000 Irano-Canadiens qui ont besoin de services consulaires.

PHOTO CODIE MCLACHLAN, LA PRESSE CANADIENNE

Des résidants se sont recueillis, mercredi à Edmonton, à la mémoire des victimes de l’écrasement d’avion survenu près de Téhéran.

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Cette décision, qui semblait extrême à l’époque, hante toujours le gouvernement canadien. Justin Trudeau avait promis lors de sa première campagne électorale, en 2015, de rétablir les relations diplomatiques avec l’Iran, mais malgré certains efforts, il constate aujourd’hui qu’il est plus facile de claquer la porte d’un pays que de la rouvrir. Stéphane Dion et Chrystia Freeland ont tous les deux rencontré leur homologue iranien en personne, mais le dossier avance à pas de tortue. Le Canada doit toujours se contenter de l’aide de l’Italie pour défendre ses intérêts dans la capitale iranienne.

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La tragédie survenue dans la nuit de mardi à mercredi démontre maintenant comment ce trou béant diplomatique ne sert en rien les intérêts du Canada.

Plus de trois jours se seront écoulés entre l’accident et l’arrivée des premiers représentants consulaires canadiens, qui ont reçu le feu vert de Téhéran jeudi pour se rendre en Iran.

Trois jours, lors d’un évènement de ce genre, c’est très long, comme nous l’a appris la tragédie du vol MH17 de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine en 2014. Lors des premiers jours suivant l’accident aérien, des combattants prorusses actifs dans l’est de l’Ukraine avaient contaminé la scène de l’accident, compliquant l’enquête, déjà lourdement politisée.

Rien n’indique que la situation sera plus simple en Iran. Pour le moment, le pays nie toute responsabilité dans l’écrasement et rejette la faute sur d’éventuels problèmes techniques.

Les autorités iraniennes soufflent aussi le chaud et le froid quant aux pays qui seront autorisés à enquêter. Mercredi, Téhéran voulait partager le contenu de la boîte noire seulement avec les enquêteurs de l’Ukraine, écartant Boeing, le constructeur américain de l’avion. Moins de 24 heures plus tard, le gouvernement iranien avait changé son fusil d’épaule. Aux dernières nouvelles, il se disait prêt à ouvrir grand ses portes à toutes les organisations et les pays qui veulent participer à l’enquête.

Cette invitation est-elle réelle ou fait-elle partie de la rhétorique du régime, qui soutient n’avoir rien à se reprocher ? Seul le temps le dira, mais disons que ceux qui ont déjà un pied en Iran seront en meilleure position pour s’imposer.

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Hier, lors de sa conférence de presse, Justin Trudeau, qui a présenté l’hypothèse selon laquelle un missile a frappé l’avion en plein vol, est resté prudent en évitant de sauter aux conclusions ou d’imputer la responsabilité à l’Iran. Il a préféré répéter que seule une enquête pouvait donner de véritables réponses aux familles des victimes qui ont le cœur en mille morceaux.

PHOTO DAVE CHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

« Le premier ministre Justin Trudeau a toutes les raisons du monde de demander une enquête “complète” et “approfondie” sur l’incident », souligne Laura-Julie Perreault.

Sa retenue, dans un moment aussi tragique, ne passera probablement pas inaperçue à Téhéran. La balle est maintenant dans le camp des Iraniens.

Espérons qu’ils la manieront avec autant de délicatesse que le gouvernement canadien. L’avenir des relations entre les deux pays, en dents de scie depuis 40 ans, en dépend.

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