Des viols qu’on peut visionner en un clic de souris. Des actes criminels impliquant des mineurs qui font le tour du monde. Du contenu sexuel publié par vengeance, sans le consentement de ceux qui y figurent.

Des réputations détruites et de (trop jeunes) vies brisées.

Certains avaient déjà compris que tout n’était pas rose dans l’industrie de la pornographie, dont Montréal est l’une des plaques tournantes internationales. La sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne, par exemple, prêche dans le désert à ce sujet depuis un moment. Il aura fallu que le New York Times mette un visage sur certaines victimes du site montréalais Pornhub pour que les médias de masse et l’opinion publique se scandalisent.

PHOTO ALEXI HOBBS, THE NEW YORK TIMES

Le siège social de MindGeek, propriétaire de Pornhub, à Montréal, le 1er décembre

Les politiciens et les médias ont sans doute un mea culpa à faire par rapport à ce trop long silence. Mais aujourd’hui, on ne peut plus faire semblant de ne pas savoir. La question n’est pas morale. On ne parle pas d’adultes consommant de la pornographie faite par des adultes consentants. On parle de contenu illégal et abject, circulant sur un site dirigé à partir du boulevard Décarie.

Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, dit travailler à un projet de loi qui serait « unique au monde » pour l’hiver prochain. C’est encourageant. Mais mettre au pas les géants du web est une entreprise complexe. Des obstacles juridiques pourraient réduire la portée des lois qui seront adoptées. Il faudra pourtant s’assurer d’aller jusqu’au bout.

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Le besoin de garde-fous pour encadrer le monde virtuel est criant. Pornhub a réagi cette semaine en annonçant de nouvelles mesures. Les usagers ne pourront plus télécharger les vidéos qu’ils visionnent, et ceux qui déposent du contenu devront s’authentifier. C’est positif, mais ne soyons pas dupes. Toutes les promesses d’autorégulation faites par les géants du web se sont avérées des échecs jusqu’à maintenant.

Ottawa l’a compris et veut créer un « régulateur » pour lutter à la fois contre la pornographie infantile et les discours haineux qui circulent en ligne. On peut penser à un organisme comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui encadre déjà la télé, la radio, la téléphonie et certains pans du web.

Dans le cas précis de sites comme Pornhub, ce « CRTC du web » permettrait de recevoir les plaintes. Il s’assurerait que les vidéos problématiques soient retirées et pourrait imposer des amendes.

La volonté d’agir du fédéral est à saluer et il faudra évidemment attendre de voir le projet de loi avant de le critiquer. Mais soulignons tout de même qu’un simple mécanisme d’arbitrage des plaintes serait insuffisant.

Une fois une plainte déposée, il est en effet souvent trop tard. La vidéo aura beau être retirée de la plateforme, le mal est fait. Et même en bloquant les téléchargements, rien ne garantit que la vidéo ne reviendra pas hanter les victimes.

On a donc besoin d’un mécanisme qui prévient la première diffusion de matériel problématique. C’est loin d’être simple. Aucun algorithme ne peut évaluer avec certitude l’âge des participants d’une vidéo porno, encore moins leur consentement à y prendre part.

En principe, ce devrait être à Pornhub de s’arranger pour que tout le contenu qui se retrouve sur sa plateforme soit légal. Le hic, c’est que l’entreprise est protégée par une disposition américaine appelée « section 230 du Communications Decency Act », et dont nous avons hérité au Canada lors de la signature de l’ALENA. Elle stipule que des plateformes intermédiaires comme Facebook, YouTube ou PornHub, sur lesquelles les usagers téléchargent leur propre contenu, ne peuvent être tenues responsables de ce contenu. Elles ne peuvent donc pas être poursuivies s’il est illégal.

Ottawa tente d’agir sans s’attaquer à l’éléphant dans la pièce qu’est cette fameuse section 230. On verra si c’est possible et suffisant. Sinon, il faudra avoir le courage d’aller au front pour la contester. La bataille s’annonce complexe. Mais on ne peut tolérer l’intolérable sous prétexte qu’il est difficile à enrayer.

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