Encore de l’argent public à la rescousse du secteur privé ? Encore des milliards qui sortiraient des poches trouées du gouvernement fédéral alors que le déficit atteint des proportions de plus en plus inquiétantes ? Et pour soutenir un secteur polluant, en plus ?

On comprend vos soupirs. Mais Ottawa n’a plus vraiment le choix de renflouer le secteur du transport aérien plombé par la pandémie de COVID-19. C’est d’autant plus vrai que plusieurs pays ont soutenu leurs propres compagnies aériennes à coups de milliards, créant un désavantage compétitif pour les nôtres. Les laisser couler ne servirait personne.

Sauf que cette aide ne doit surtout pas être un chèque en blanc à certaines entreprises qui, disons-le, ont souvent semblé plus intéressées par la satisfaction de leurs actionnaires que de leurs clients.

Avant de sortir le chéquier, rappelons-nous les promesses non tenues d’Air Canada au sujet d’Aveos. Rappelons-nous les baisses de service et l’arrêt cavalier des vols régionaux. Rappelons-nous, aussi, la rémunération parfois outrancière de certains dirigeants (le patron d’Air Canada, Calin Rovinescu, a touché 31 millions en 2017 et 52 millions l’an dernier en exerçant des options d’achat d’actions en plus de sa rémunération déjà généreuse).

Oui à de l’argent public, donc. Mais à des conditions strictes.

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Personne ne le conteste : l’industrie aérienne connaît une crise sans précédent. La chute du nombre de passagers oscille entre 90 et 97 %, du jamais-vu. La grande majorité des avions sont cloués au sol depuis des mois et on ignore quand ils pourront reprendre le ciel.

Le gouvernement fédéral a déjà des programmes de soutien pour les entreprises touchées par la crise. Mais ils sont mal adaptés au secteur aérien dont le principal fardeau n’est pas la main-d’œuvre, mais les énormes coûts fixes engendrés par le remboursement des avions. Et même si ces appareils ne volent pas, il faut continuer leur onéreux entretien.

D’où les signaux d’ouverture récents à Ottawa pour une aide à ce secteur qui n’aurait rien d’exceptionnel. Le gouvernement allemand a injecté 9 milliards d’euros dans Lufthansa contre 20 % des actions. Air France a reçu un soutien de 7 milliards d’euros de son gouvernement. Washington a débloqué 25 milliards US pour ses entreprises aériennes. Hong Kong, Singapour, la Russie et bien d’autres ont fait la même chose.

En imitant l’Allemagne et avec des prises de participation minoritaires dans les entreprises aériennes, Ottawa pourrait éventuellement revendre ses parts quand le marché repartira, réalisant peut-être même un léger bénéfice. Cela permettrait aussi d’avoir un membre au conseil d’administration pour s’assurer que les sommes sont bien gérées.

Les entreprises préfèrent des prêts et des garanties de prêt, mais elles doivent se rappeler que ce sont elles qui sont ici en demande.

Dans tous les cas, Ottawa doit obtenir des conditions en échange de son soutien – et établir des mécanismes pour s’assurer qu’elles seront respectées.

Le fédéral a déjà fait savoir que son aide sera conditionnelle au remboursement des voyageurs qui ont perdu leurs billets à cause de la COVID-19. Les sommes en jeu sont colossales : environ 2,4 milliards pour Air Canada et 860 millions pour Air Transat. Mais c’est incontournable.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

« Le gouvernement fédéral a déjà des programmes de soutien pour les entreprises touchées par la crise, mais ils sont mal adaptés au secteur aérien », écrit notre éditorialiste.

Même chose pour la reprise des vols régionaux, dont l’arrêt a isolé un grand nombre de communautés – parlez-en aux citoyens de Gaspé, de Baie-Comeau et de Val-d’Or.

Précisons finalement qu’alors qu’on parle de reprise verte, injecter des fonds publics dans des entreprises polluantes crée un malaise. Le gouvernement français a exigé des gains environnementaux d’Air France en échange de son aide. Cette avenue est certainement à explorer chez nous.

Sauver les entreprises aériennes du naufrage est dans l’intérêt du pays. Mais le fédéral a l’obligation de s’assurer que cet argent sera déployé de façon à maximiser les retombées pour les Canadiens. Pas pour les actionnaires ou les dirigeants.

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