Il y a du révisionnisme dans le récit des évènements d’octobre 1970 qui circule actuellement. Un récit qui rejette toute la faute sur le fédéral dans le but d’arracher à Trudeau fils des excuses au nom de Trudeau père.

Cette injonction sous forme de piège enlève curieusement toute responsabilité au Québec, comme si, à l’époque, Ottawa avait décidé unilatéralement d’envoyer l’armée dans les rues de la province pour emprisonner tous les souverainistes.

Or, quiconque se replonge dans les reportages publiés il y a 50 ans, les archives de l’Assemblée nationale et les témoignages des acteurs ayant vécu la crise de l’intérieur peut constater que le gouvernement Bourassa avait autant de responsabilité dans les débordements que le gouvernement Trudeau.

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On peut bien tourner les évènements dans tous les sens, mais c’est bel et bien le Québec qui a demandé l’envoi de l’armée pour répondre à la menace que représentait le FLQ.

C’est aussi le Québec qui a demandé, avec Montréal, l’application de la Loi sur les mesures de guerre. Le fédéral était bien sûr d’accord et complice de la requête.

Certains soutiennent même qu’il a manœuvré pour l’obtenir. Mais Robert Bourassa a toujours dit qu’il avait fait une demande de pouvoirs d’urgence « absolument, totalement et complètement librement ».

Difficile d’être plus clair.

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Les premiers ministres du Canada et du Québec, Pierre Elliott Trudeau et Robert Bourassa, aux funérailles du ministre Pierre Laporte, le 20 octobre 1970 à Montréal

Il faut d’ailleurs se souvenir qu’à l’Assemblée nationale, les partis de l’opposition étaient d’accord avec lui. Les représentants des trois formations – Union nationale, Crédit social et Parti québécois – s’étaient levés l’un après l’autre pour appuyer le premier ministre, le 15 octobre.

Le chef parlementaire du PQ, Camille Laurin, déclarait même que l’appel du Québec était « parfaitement compréhensible et justifié dans les circonstances ».

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Pour comprendre à quel point le fédéral et le provincial ont agi de concert, il faut lire le récit des évènements tel qu'il est raconté par l’ancien ministre William Tetley, qui était au cœur des délibérations du cabinet Bourassa à l’époque.

Dans le livre Octobre 1970 – Dans les coulisses de la Crise, publié en 2010, il confirme que c’est le Québec qui a demandé l’envoi de l’armée. Et dès le lendemain, « d’un commun accord, les deux gouvernements mettent en vigueur la Loi sur les mesures de guerre et proclament l’état d’insurrection appréhendée ». Une décision, souligne-t-il, qui recevait l’appui de 86 % des francophones, selon un sondage Gallup. M. Tetley, qui était ministre des Institutions financières, rappelle également que c’est la Sûreté du Québec (SQ) et non pas l’armée qui a procédé aux arrestations arbitraires. C’est la SQ, après tout, qui avait la responsabilité de toutes les opérations des forces policières et militaires.

Un article publié dans The Gazette à l’époque citait d’ailleurs un soldat interviewé dans les rues de Montréal : « Nous ne sommes pas là pour prendre le contrôle. Nous recevons nos ordres de la police. »

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Est-ce à dire que le Québec est le grand responsable de la violation des droits et libertés de centaines d’innocents ? On serait là encore dans le révisionnisme.

Car le gouvernement Trudeau aurait très bien pu refuser la demande faite par Québec. Rien ne l’obligeait à recourir à la Loi sur les mesures de guerre, qui permettait les détentions, les arrestations et les perquisitions sans mandat.

Le gouvernement fédéral aurait bien pu avoir recours à une loi spéciale qui n’aurait pas donné carte blanche à l’exagération. C’est son choix d’avoir opté pour un instrument qui drapait l’arbitraire dans la légalité.

On n’a d’ailleurs qu’à se rappeler le fameux « Just watch me » de Trudeau père pour se souvenir de la volonté du premier ministre d’en découdre avec le FLQ.

Il est donc trop facile de dire, comme le fait l’ancien ministre fédéral Marc Lalonde, que les services policiers du Québec ont abusé des pouvoirs qui leur ont été accordés. De la même manière qu’il est trop facile de dire que l’octroi de ces pouvoirs extraordinaires est l’unique responsable des débordements d’octobre 1970.

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En soi, la demande d’excuses faite ces jours-ci est justifiée.

Rappelons les perquisitions sans mandat et les centaines de personnes qui ont été arrêtées et détenues en raison de leur allégeance politique. Nombre d’entre elles n’ont jamais été accusées devant les tribunaux ni même indemnisées.

Il est bien difficile de donner raison à Justin Trudeau sur quoi que ce soit ayant trait à la crise d’Octobre tant on a en tête l’arrogance de son père. Mais il a raison quand il dit que « tous les paliers de gouvernement doivent réfléchir à la façon dont ils ont agi ».

De la même manière que Dominique Anglade a raison d’ajouter que « pour ces débordements, pour ces violations des droits de personnes innocentes, les gouvernements concernés devraient s’excuser ».

Certains croient que d'accuser tout le monde est le meilleur moyen de n'accuser personne. Mais accuser toujours le fédéral et uniquement le fédéral revient à exonérer le Québec pour ses agissements, comme s’il était une éternelle victime.

Inutile de sortir la calculatrice pour savoir qui a le plus de responsabilité dans les abus de l’époque : que les deux gouvernements s’excusent.

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