Le grand ménage, vous vous en souvenez ?

C’était la priorité de François Legault en 2012. Il promettait un coup de balai pour s’attaquer à la corruption et à la collusion. Cela a mené à la commission Charbonneau, puis aux lois qui ont resserré le contrôle sur les contrats publics.

Il est donc étonnant de voir aujourd’hui le premier ministre remettre en question ces mesures pour lesquelles il s’est battu. Voilà pourtant ce que ferait son projet de loi 61.

On comprend l’objectif, celui de relancer l’économie. Reste que la fin ne justifie pas les moyens. D’autant plus que, dans ce cas-ci, il n’est même pas clair que la fin sera atteinte grâce à ces moyens.

Les risques pour le premier ministre sont à la hauteur des pouvoirs réclamés. C’est son image qui est en jeu.

À première vue, cela n’a rien pour inquiéter M. Legault. Son taux de satisfaction demeure impressionnant. Les Québécois en général aiment sa franchise et sa bonhomie. Son intégrité n’a jamais été remise en question. Il a aussi su faire preuve d’humilité en admettant à quelques reprises ses erreurs et en reculant, comme pour les congés parentaux aux parents adoptifs.

M. Legault, ancien homme d’affaires, n’est toutefois pas réputé pour sa patience.

Cela peut plaire à certains, mais cette approche atteint maintenant ses limites avec le projet de loi 61. Le gouvernement caquiste ne fait pas qu’avancer plus vite. Il s’attaque carrément aux contre-pouvoirs, et même à une certaine idée de la démocratie.

La loi proposée ratisserait large, très large.

Le gouvernement renouvellerait l’état d’urgence pour une période indéterminée. Il pourrait changer les lois par règlement. Il mettrait les ministres à l’abri de poursuites judiciaires. Il empêcherait les citoyens de contester une expropriation. Et il pourrait aussi déroger à la Loi sur les contrats des organismes publics, par exemple en concluant des ententes de gré à gré.

En d’autres mots, le gouvernement se mettrait à l’abri de l’opposition et des citoyens.

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Certes, on comprend l’intention de M. Legault.

À ses yeux, la reprise économique urge, et les chantiers avancent trop lentement. Il veut accélérer les travaux pour une liste de plus de 200 projets de routes, transports collectifs, hôpitaux, écoles et autres infrastructures pour la plupart déjà prévus.

Or, ces délais ne relèvent pas de la simple bureaucratie. Ils permettent de bien choisir les projets puis d’en contrôler les coûts – plusieurs mesures ont été adoptées pour éviter la collusion et la corruption.

D’ailleurs, le comité de suivi de la commission Charbonneau est très inquiet de l’impact du projet de loi 61. Ses membres ont été convoqués en commission parlementaire mardi soir à 21 h 45. Pas tout à fait une heure de grande écoute… Et on ignore encore si le Barreau du Québec donnera son avis.

Tout cela parce que le projet de loi a été déposé à la dernière minute, une semaine avant le congé des travaux parlementaires.

Pour être juste, le projet de loi a trouvé certains appuis, comme la Fédération des chambres de commerce et l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec. Toutefois, lundi, l’Association de la construction du Québec elle-même avouait ne pas avoir réclamé que les contrôles soient allégés. Elle espérait plutôt un meilleur accès à des liquidités pour se relever de la crise.

Si Québec avait suffisamment rétabli l’expertise au ministère des Transports ou renforcé l’Autorité des marchés publics, on pourrait se rassurer un peu. Malheureusement, ce n’est pas le cas. On comprend que les délais fassent parfois grimper les coûts des projets, mais la facture gonfle aussi quand ils sont mal conçus ou surveillés.

Confiant et impatient, l’ex-entrepreneur Legault croit avoir la solution pour relancer l’économie du Québec. On ne doute nullement de sa bonne foi. Mais il semble surestimer la capacité de l’État de gérer ses chantiers, et sous-estimer la contribution de tous les contre-pouvoirs pour l’aider dans cette tâche.

Si M. Legault fonce sans écouter ses nombreux critiques, une autre image du ménage viendra en tête. Celle d’un premier ministre qui aime un peu trop balayer les contre-pouvoirs.

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