Comme des prisonniers en permission, les Montréalais affluent dans les parcs depuis deux semaines pour s’entourer d’arbres, sentir la boue en train de sécher et écouter les oiseaux. On voit un morceau de ciel, et c’est un spectacle.

Les parcs et les espaces verts sont redécouverts comme un bien public, voire une nécessité.

Oliver Sacks n’en serait pas surpris. « En tant que médecin, j’amène mes patients dans le jardin chaque fois que c’est possible […]. Cela les calme et les revigore », racontait le regretté neurologue dans son court essai Why We Need Gardens.

En plus de la pharmacologie, il prescrivait deux remèdes : la musique et les balades dans les parcs.

Au Japon, les bains de forêt (Shinrin-Yoku) sont même un outil de prévention recommandé par la santé publique depuis quelques décennies.

Malgré l’état d’urgence, les Montréalais qui ne sont pas en quarantaine peuvent encore se balader à condition de ne pas le faire en groupe et de rester à deux mètres des autres marcheurs.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« La crise de la COVID-19 nous rappelle la valeur intangible de certaines choses », souligne Paul Journet.

Les autres, en confinement forcé, vont les envier. Surtout ceux qui n’ont pas le luxe de posséder une cour et qui se rabattent habituellement sur les parcs. Coupés du monde naturel, ils en éprouveront toute l’importance.

On ne veut pas sortir le cliché des « leçons » apprises durant cette crise – s’il y a une leçon à apprendre au sujet des leçons, c’est qu’elles ont surtout en commun d’être vite oubliées. N’empêche, il y a matière à réflexion.

D’une certaine façon, la COVID-19 est une crise écologique. Pas dans un sens politique ou militant. Plutôt dans notre façon de nous situer dans le monde. La crise est écologique, car elle rappelle notre place dans le grand maillage du vivant. Les aventures d’une chauve-souris en Chine peuvent mener à des mises à pied dans une usine de Longueuil.

C’est une crise écologique, car elle nous rabaisse. Malgré toute sa vanité, notre espèce reste contingente et fragile.

Formulé ainsi, cela paraît angoissant. Mais une petite balade au parc peut renverser cette perspective. Elle peut apaiser.

Cela n’a rien de romantique. Les romantiques voyaient le reflet de leur moi briller dans la nature. On parle plutôt du contraire ici. D’un décentrement.

Dans Les enfants Tanner, de Robert Walser, un des personnages se plaint « qu’il y a comme une cloison, mince, mais opaque, qui me sépare de la vie ». Cela ne s’améliore pas au XXIe siècle, en cette ère de la technique et de la productivité où tout se calcule, comme si nous étions en marge de la nature, comme si nous la contrôlions.

S’immerger dans un parc, cela aide à faire tomber la distance entre le monde naturel et soi. Entendre, comme dirait Mishima, « le temps qui s’écoule, goutte à goutte ».

Pour se justifier de ralentir l’économie, les environnementalistes ont développé un contre-discours sur la valeur des services rendus par la nature. Par exemple, en parlant des dollars économisés grâce aux milieux humides qui atténuent les inondations. C’est pertinent, bien sûr, mais la défense des espaces verts ne devrait pas être réduite à cela.

Comme le prouvent en ce moment les marcheurs de Montréal et du reste du Québec, ces endroits ont une valeur qui ne se chiffre pas. Elle se ressent mieux qu’elle ne se démontre.

On ne protège pas la nature comme si c’était un joyau extérieur à soi, comme si on la regardait pure et intacte par la fenêtre. On la protège parce qu’elle fait partie de nous.

Et aussi, à défaut d’un meilleur mot, à cause de sa « beauté ».

Une phrase célèbre veut que « la beauté sauvera le monde ». Du point de vue d’une personne atteinte de la COVID-19, c’est un discours de bien portant. Presque une provocation.

Non, le monde n’a pas besoin d’être sauvé, et même si c’était le cas, il faudrait plus qu’une rangée d’arbres pour accomplir ce vaste programme.

Mais on peut à tout le moins dire que la crise de la COVID-19 nous rappelle la valeur intangible de certaines choses. Il fait bon d’aller se perdre dehors dans les bois pour voir si on s’y trouve.

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