Une politique étrangère féministe, ça mange quoi en hiver ?

Plusieurs se sont posé la question en 2017 quand le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il voulait porter une cape de grand défenseur de l’égalité des sexes dans le monde. Et plusieurs vont se la poser à nouveau maintenant que le nouveau ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a annoncé vendredi dernier dans un discours au Conseil des relations internationales de Montréal que non seulement il reprend le flambeau de sa prédécesseure, Chrystia Freeland, mais qu’il compte renforcer cette politique féministe, y consacrant même un livre blanc, le premier depuis 2005.

Pendant son discours à Montréal, le ministre s’est dit convaincu que l’approche féministe en vigueur depuis un peu plus de deux ans donne déjà des résultats « tangibles » et « mesurables ».

Cependant, quand vient le temps d’énumérer ces retombées fantastiques, M. Champagne a plus de difficulté. Il s’en tient à une anecdote ou deux. Du coup, on n’a pas l’impression d’être devant une révolution en matière de politique étrangère, mais devant un balbutiement de politique. Devant un joli slogan.

Et pourtant, si on se met le nez dans les dossiers et les chiffres du gouvernement, on voit rapidement que cette politique étrangère féministe n’est pas seulement théorique. Et elle est en train de transformer rapidement le rôle du Canada dans le monde.

Quand les États-Unis de Donald Trump ont coupé les vivres à des programmes de santé reproductive aux quatre coins du monde pour plaire notamment aux puissants groupes évangéliques qui soutiennent le président américain, le Canada est venu à la rescousse en injectant 195 millions dans ces services. En 2018-2019, ce sont 2,8 millions de femmes qui ont eu accès à de la planification familiale, à des moyens contraceptifs modernes ou à des avortements sécuritaires grâce à l’intervention canadienne.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

En 2017, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il voulait porter une cape de grand défenseur de l’égalité des sexes dans le monde, explique notre éditorialiste.

Entre 2016 et 2017, la proportion d’aide internationale canadienne qui a comme objectif principal de promouvoir l’égalité des genres a presque triplé, passant de 2,4 % de l’aide bilatérale à 6,5 %. Et la tarte va encore doubler pour atteindre 15 % en 2021-2022. 

Selon le plan gouvernemental, près de 80 % des autres fonds accordés, même s’ils le sont pour combattre les effets des changements climatiques ou la faim, devront aussi prendre en compte les besoins particuliers des femmes et des filles.

Le constat scientifique derrière cette réorientation des fonds est que l’une des meilleures manières de combattre la pauvreté extrême qui afflige toujours 10,7 % de la population mondiale, c’est de donner plus de pouvoir aux femmes, que ce soit par l’éducation ou par l’accès à la propriété et aux capitaux. Donc, dès l’an prochain, c’est plus de 3,5 milliards par année que le Canada consacrera à l’amélioration de la condition des femmes à l’extérieur de nos frontières.

Et les politiques canadiennes en matière d’égalité des sexes ne s’arrêtent pas là : elles touchent aussi les opérations de maintien de la paix, les négociations de traités de libre-échange et la promotion des droits de la personne.

Pour être certain de rester dans le droit chemin, Justin Trudeau a même nommé une ambassadrice, Jacqueline O’Neill, qui consacre tous ses efforts à l’avancement des femmes dans les dossiers de paix et de sécurité. Une première.

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Devant cette feuille d’accomplissements en tout juste deux ans, il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement Trudeau n’explique pas mieux son action. On a même l’impression qu’il se garde une petite gêne.

Le gouvernement de la Suède, qui a été le premier à adopter une politique étrangère féministe, n’hésite pas à revendiquer la parenté de ce projet et à l’expliquer de long en large.

Lors d’entrevues médiatiques, l’ancienne ministre des Affaires étrangères du pays scandinave Margot Wallström a noté que cette politique dérange dans un monde où les leaders populistes de droite et les leaders autoritaires sont de plus en plus nombreux.

Ni Jair Bolsonaro au Brésil, ni Rodrigo Duterte aux Philippines, ni Viktor Orban en Hongrie, pour ne nommer que ceux-là, n’applaudissent quand on leur parle d’égalité des sexes. Idem pour le prince héritier saoudien qui a pris le Canada en grippe quand la ministre Freeland lui a demandé de libérer des militantes emprisonnées. La Suède a subi exactement le même sort.

Cet épisode à lui seul en dit long autant sur la pertinence d’une politique étrangère féministe que sur la difficulté de la mettre de l’avant au jour le jour lors de pourparlers avec des gouvernements qui prônent le retour aux rôles traditionnels, minimisent l’impact de la violence sexuelle ou s’opposent au libre choix en matière d’avortement.

Politiquement, il risque d’y avoir un prix à payer en leur faisant la leçon sur l’égalité des genres. Et ça mènera sûrement à d’autres rebuffades. Mais parfois, il faut choisir ses batailles et porter l’étendard bien haut, surtout quand il s’agit du bien-être de la moitié de l’humanité. La cause est la bonne, le message doit être clair.

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