« Il y a un feu qui brûle, ici, dans les provinces des Prairies… »

Ça sonne comme un extrait de poème d’un auteur canadien-anglais, mais c’est en fait l’avertissement d’un politicien revanchard. Celui du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe.

Comme son homologue albertain, Jason Kenney, il est en colère et il le répète sur toutes les tribunes depuis le scrutin fédéral. Mais il se présente malgré tout comme un politicien généreux : il vient d’expédier une lettre à Justin Trudeau et il affirme qu’elle contient les solutions à la crise qui couve dans sa région. Cette missive, c’est un « extincteur d’incendie », a soutenu Scott Moe.

Or, les apparences sont trompeuses. Il semble tendre la main, mais il a le poing fermé. Il n’y a dans cette lettre pas l’ombre d’un compromis. Elle se résume ainsi : FAITES CE QUE NOUS VOULONS ! En somme, c’est un ultimatum.

Scott Moe a trois grandes demandes pour le gouvernement fédéral : 

• l’annulation de la taxe carbone ;

• un engagement à négocier une nouvelle formule de péréquation qui serait « équitable pour la Saskatchewan et l’Alberta » ;

• la construction d’oléoducs pour que ces deux provinces puissent acheminer leurs exportations « vers les marchés internationaux ».

Rien que ça !

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Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe

Soyons sérieux. Scott Moe n’est pas prêt à mettre d’eau dans son vin, mais il demande des concessions majeures, dont certaines iraient à l’encontre de la volonté non seulement des élus libéraux, mais d’une majorité de Canadiens. Lutter vigoureusement contre les changements climatiques, par exemple, est incontestablement une priorité au pays. Et les exigences des deux provinces ne laissent place à aucun accommodement dans ce dossier.

L’idée n’est surtout pas, ici, de minimiser le sentiment d’aliénation dont font état les premiers ministres de ces deux provinces de l’Ouest. Le résultat des élections l’a démontré on ne peut plus clairement. La frustration est indéniable.

La Saskatchewan et l’Alberta se partagent 48 circonscriptions dont 47 appartiennent maintenant aux conservateurs et une au NPD. Les libéraux n’en ont obtenu aucune ! Le message est limpide.

Il est clair, en ce sens, que Justin Trudeau devra trouver des moyens de calmer la colère qui s’est exprimée lundi. Hier, il a dit prendre acte des résultats des élections et promis que les doléances des citoyens de la Saskatchewan et de l’Alberta seraient entendues.

Fort bien, il a dit ce qu’il fallait dire. Voyons voir, maintenant, s’il joindra le geste à la parole. Car ce sentiment d’abandon nécessite une réaction marquée de la part d’Ottawa.

Cela dit, il est légitime de se poser une question fondamentale : peu importe ce que le gouvernement fédéral proposera dans le but d’une réconciliation, est-ce que ça va changer quelque chose ?

Ici, le pessimisme est de mise. Car Scott Moe et Jason Kenney ressemblent de plus en plus aux élus républicains sur le sol américain, dont la radicalisation au cours des dernières décennies a été spectaculaire.

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Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney

Parmi les experts qui ont étudié ce phénomène aux États-Unis, deux politologues, Thomas Mann et Norman Ornstein, ont fait grand bruit il y a une demi-douzaine d’années en accusant les républicains de former une « insurrection radicale ».

Leur diagnostic est sans appel. Parmi les caractéristiques énumérées, notons la radicalisation idéologique du parti accompagnée d’un mépris pour tout compromis. Cela va de pair avec le refus de reconnaître la légitimité de tout rival politique. Ça se traduit aussi par un rejet – indéfendable – « de l’interprétation conventionnelle des faits, des éléments de preuve et de la science ».

Ce n’est pas sans rappeler ce qu’on remarque en analysant les propos tenus par des élus conservateurs issus de Saskatchewan et d’Alberta (et même parfois d’ailleurs au Canada) ces dernières années. Cette fâcheuse tendance, notamment, à opposer les habitants de l’ouest du Canada à ceux du reste du pays, les uns étant décrits comme des victimes et les autres comme des bourreaux (avec une propension à critiquer le Québec, qu’on estime trop gâté par Ottawa). Cette intransigeance est politiquement rentable à Edmonton ou à Regina, bien sûr, mais elle n’augure rien de bon pour une réconciliation avec Ottawa.

Ne soyons pas catastrophistes. Notons tout de même que l’évolution de la vie politique aux États-Unis, depuis la radicalisation d’une bonne partie des élus républicains, n’inspire pas confiance pour la suite des choses de ce côté-ci de la frontière.

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