La question est sur toutes les lèvres, du moins au Canada anglais : Trudeau doit-il s’excuser pour sa gestion du dossier SNC-Lavalin ?

La réponse est oui… mais certainement pas pour avoir tenté de défendre l’entreprise !

Il est vrai que Justin Trudeau et les membres de son entourage ont multiplié les pressions sur Jody Wilson-Raybould l’an dernier. Des pressions qui visaient à « influencer », voire à « contourner » sa position défavorable contre SNC-Lavalin, comme l’a écrit le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique dans un rapport particulièrement sévère.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES REUTERS

Justin Trudeau et Jody Wilson-Raybould en janvier dernier

L’ancienne procureure générale a eu beau essayer de créer un bras de distance autour d’elle afin de préserver l’indépendance que lui confère la loi, de toute évidence, les émissaires du premier ministre ne l’ont pas respecté.

Ces manœuvres sont « troublantes », comme les qualifie M. Dion… mais condamnables ? Au point de rejeter toutes les motivations, les explications et les justifications fournies par le cabinet Trudeau ?

Si le fameux conflit d’intérêts dans lequel s’est placé le premier ministre lui avait permis de s’enrichir ou de favoriser un de ses proches, on comprendrait la rigidité du rapport du commissaire. Mais dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’interventions qui visaient à sauver un fleuron économique québécois, et donc canadien.

Des interventions, par ailleurs, qui répondaient à une certaine intransigeance de la procureure générale d’alors, qui a refusé dès le début de considérer la négociation d’un accord de réparation avec SNC-Lavalin.

Or, après lecture de l’analyse exhaustive de M. Dion, on ne comprend toujours pas pourquoi ce refus, et surtout, pourquoi elle a pris une décision aussi tôt, aussi catégorique et aussi entêtée, rejetant même l’idée d’obtenir des avis externes.

Une portion du rapport qui est passée inaperçue jusqu’ici tend d’ailleurs à confirmer l’obstination de Mme Wilson-Raybould. À la page 21, on apprend que Nathalie Drouin, sa sous-ministre et sous-procureure générale à l’époque, lui a demandé, une semaine après sa décision, si elle disposait de suffisamment d’information pour la justifier.

Manifestement, Mme Drouin nourrissait une certaine réserve quant à une telle décision, puisqu’elle a indiqué à sa patronne lors de cette même réunion qu’elle considérait que ce refus « pourrait être plus lourd de conséquences que ne l’avait estimé le Service des poursuites pénales ».

Dans un tel contexte, peut-on vraiment conclure que les interventions répétées de Justin Trudeau, de Bill Morneau et de leurs équipes étaient totalement et catégoriquement déplacées ? Même s’il a toujours été question de l’impact politique et économique d’éventuelles pertes d’emplois ? Même s’il s’agit non pas de « la shop » du beau-frère du premier ministre, mais d’un véritable fleuron économique ?

Et peut-on réellement lui reprocher d’avoir considéré à la fois l’impact gouvernemental et électoral d’une éventuelle chute du géant de l’ingénierie, alors qu’en pareil contexte, soyons honnêtes, il est bien difficile de séparer complètement les deux ?

Bien sûr, en lisant le détail de la Constitution, de la doctrine Shawcross, du rapport Edwards, des jugements de la Cour suprême, on réalise que le premier ministre est allé trop loin dans sa défense de SNC. Beaucoup trop loin.

Mais à l’origine, l’intention était-elle totalement inopportune ? Justin Trudeau avait-il objectivement tort de considérer l’intérêt économique national ? Le député de Papineau pouvait-il faire autrement que d’envisager les répercussions politiques et économiques de la chute de SNC pour le Québec et le pays ?

Certes, la fin ne justifie pas les moyens, mais elle peut parfois les expliquer.

Et on peut raisonnablement croire, à la lumière des débats qui ont entouré le sort de Rona et Sico ces dernières années, que les électeurs auraient reproché à Trudeau de ne pas avoir essayé de voler au secours de SNC. Rappelons seulement comment il avait été critiqué pour avoir tardé à aider Bombardier.

Donc, quand Justin Trudeau refuse de s’excuser de ces pressions tout en en prenant l’entière responsabilité, il s’agit de la chose à faire.

Par contre… là où des excuses sont de rigueur, c’est dans le mensonge initial du premier ministre.

Justin Trudeau assume maintenant les pressions exercées sur son ancienne ministre, mais lorsque la nouvelle est sortie dans le Globe and Mail en février dernier, il affirmait que « les allégations dans le reportage de ce matin sont fausses ». Tout simplement fausses.

On sait aujourd’hui qu’elles étaient au contraire rigoureusement exactes. Manifestement, ce jour-là, Justin Trudeau tentait de sauver sa peau… non pas celle de SNC-Lavalin.

Il a fallu attendre que les preuves d’une intervention soutenue soient accablantes pour qu’il change de position. Ce qui est plus troublant que ses efforts visant à protéger SNC et son siège social canadien.

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