Vous l’avez peut-être vue à la télévision. Cheveux mauves, ouvertement gaie, à la fois souriante et un brin insolente. Elle s’appelle Megan Rapinoe. En marquant six buts pendant le tournoi, la co-capitaine de l’équipe de soccer américaine a permis aux États-Unis de remporter leur deuxième Coupe du monde de suite.

Mais c’est hors des stades que la femme de 34 ans mène ses attaques les plus importantes. Megan Rapinoe défie Donald Trump, revendique l’équité salariale, pourfend les politiques d’incarcération et d’immigration de son pays, fait la promotion d’une Amérique plus inclusive.

PHOTO LIONEL BONAVENTURE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Megan Rapinoe tire un penalty pendant la Coupe du monde féminine de la FIFA, en France.

Sur le terrain, ses tirs ébranlent les cordages des filets adverses. À l’extérieur, ils secouent l’apathie qui a gagné trop de gens face aux injustices de nos sociétés.

Des injustices qui, aux États-Unis, sont souvent exacerbées par les propos et les actions d’un président qui a sombré il y a tellement longtemps dans l’inacceptable qu’on s’y est malheureusement habitué.

Le grand combat de Megan Rapinoe et de ses coéquipières est celui de l’égalité salariale pour les femmes. L’équipe américaine féminine de soccer, contrairement à l’équipe masculine, domine la scène mondiale. Pourtant, les joueuses reçoivent une fraction du salaire de leurs collègues masculins. À ceux qui répondent qu’il s’agit bêtement d’une question de taille de marché, les sportives américaines renversent habilement la question. Elles plaident que ce sont les efforts moindres investis dans le développement et la promotion du soccer féminin qui expliquent cette différence de popularité et donc de revenus.

À quelques mois du lancement de la Coupe du monde, les joueuses américaines ont posé un geste qui ne manque pas de culot.

Elles ont déposé une action collective contre leur propre employeur, la Fédération américaine de soccer, exigeant que soit comblé ce fossé salarial.

« Aux États-Unis, les attaques répétées face à l’accès à l’avortement ont un peu centralisé les féministes autour de cette urgence d’agir – avec raison, mais les questions d’équité salariale ont un peu pris l’arrière-plan. Megan Rapinoe et ses coéquipières ont le mérite de ramener cette question à l’avant-scène », observe Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.

Megan Rapinoe est aussi connue pour ses combats pour les droits des minorités sexuelles. Mais ce qui l’honore, c’est que les causes qu’elle défend dépassent celles qui la touchent personnellement.

Dès 2016, elle a commencé à poser un genou par terre pendant l’hymne national américain pour protester contre la brutalité policière et le profilage racial. Elle profite maintenant de toutes les tribunes qu’on lui offre – et elles sont nombreuses – pour ramener ces sujets à l’ordre du jour, en plus de parler notamment du sort des migrants à la frontière sud des États-Unis. En ne manquant pas de décocher des flèches à celui qui incarne maintenant les dérives d’un pays qui, à certains égards, est gravement malade : Donald Trump.

Le championnat mondial n’était pas encore dans la poche que Megan Rapinoe avait fait savoir qu’elle et ses coéquipières n’avaient aucune intention de se rendre à la Maison-Blanche si une telle invitation survenait.

« Votre message exclut des gens. Vous m’excluez, vous excluez les gens qui me ressemblent, vous excluez les gens de couleur, vous excluez des Américains qui, peut-être, vous appuient », a-t-elle lancé au président Trump sur les ondes de CNN. Elle et ses coéquipières ont toutefois accepté une invitation du Congrès américain, montrant que c’est le président lui-même, et non l’ensemble du système politique américain, qu’elles rejettent.

Megan Rapinoe n’est évidemment ni la seule ni la première à dénoncer Donald Trump. Mais le peu de vagues suscitées par les récentes accusations de viol qui pèsent contre le président laisse croire que l’indignation s’essouffle. Insultes distribuées aux politiciens étrangers et locaux, propos dégradants contre les femmes, attaques contre la presse, contre l’environnement, contre les institutions : choisissez. Les raisons qui justifieraient que le peuple américain soit dans la rue à protester sont pourtant légion.

En profitant de son statut de gagnante et d’héroïne sportive, Megan Rapinoe ravive l’opposition et réussira peut-être à toucher des gens qui n’étaient pas sensibilisés aux causes qu’elle défend. Sa popularité ne cesse de monter – un sondage mené par Public Policy Polling montre qu’elle battrait Trump de justesse dans une élection fédérale (une possibilité qu’elle a rapidement écartée).

Son franc-parler ne fera certes rien pour atténuer le clivage des débats – Mme Rapinoe a affirmé qu’elle ne se rendrait pas à la « fucking » Maison-Blanche, un mot pour lequel elle s’est ensuite excusée. Le fait qu’elle dénonce le président tout en portant le maillot américain lui attire aussi évidemment des accusations d’hypocrisie et d’antipatriotisme.

Mais la vision des États-Unis que défend Megan Rapinoe a besoin être entendue. Ses propos, courageux et nécessaires, réveillent une dissidence qui ne doit pas faiblir.

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