« Oh ! Cet échafaud-là, malgré son nom brutal / Ne fut pas un gibet, ce fut un piédestal ! » — Louis Fréchette

Ils ont affronté une des plus grandes puissances militaires de l’histoire. Ils l’ont fait sous la menace de l’excommunication. Leurs armes ne faisaient pas le poids et ils le savaient. Ils espéraient une intervention américaine, elle n’est pas venue. Ils espéraient l’appui des Autochtones, ils ne l’ont pas eu. Ils se sont soulevés quand même. Battus une première fois en 1837, ils se sont soulevés à nouveau en 1838, deux fois, en février, puis en novembre. Battus, encore.

Seuls des convictions profondes, des espoirs immenses, des idées puissantes peuvent faire naître un pareil courage.

L’histoire militaire a retenu leur défaite. La grande Histoire, celle des idées, a consacré leur victoire.

Pour quelles idées se battaient-ils donc avec autant d’acharnement1 ?

La démocratie

Pour l’instauration, sur le modèle américain, d’une république où le peuple et non le roi serait souverain.

Pour la séparation de l’Église de l’État.

Pour la protection de la liberté et de l’indépendance de la presse.

Pour la tenue d’élections au scrutin secret.

Pour l’abolition du régime seigneurial.

Pour une constitution par et pour le peuple.

Pour la mise en place du suffrage universel masculin (oui, ils auraient pu faire mieux).

Pour la reconnaissance des mêmes droits civiques aux autochtones qu’aux autres citoyens (cherchez un autre parti politique, à cette époque, qui proposait la même chose !).

La justice

Pour l’élimination de la corruption du gouvernement colonial, c’est-à-dire pour une fonction publique honnête, des juges impartiaux, un État au service de l’économie locale.

Pour la fin de l’exclusion économique, sociale, culturelle des Québécois.

Pour l’octroi aux langues française et anglaise du même droit de cité.

Pour l’instauration des procès devant jury.

Pour l’abolition de l’emprisonnement pour dette.

Pour l’abolition de la peine de mort pour tous les crimes, sauf le meurtre.

Pour le transfert des terres de la Couronne et du clergé au domaine public.

Pour la création d’un système bancaire dans lequel l’éthique serait plus importante que le profit.

L’éducation

Pour une éducation générale et publique. Au début du XIXe siècle, 93 % des enfants n’avaient pas accès à l’école. En 1829, les patriotes adoptèrent un système d’écoles publiques, quatre ans avant la France et dix ans avant l’Angleterre. Leur système supplanta rapidement les écoles dirigées par l’Église et celles sous contrôle anglais. En 1836, le régime colonial a aboli ce système : 70 % des 1462 écoles existantes durent fermer.

Les valeurs portées par les patriotes, parfois en précurseurs, étaient inspirées des Lumières.

Ces valeurs allaient bouleverser tout le XIXe siècle : éducation publique et obligatoire, laïcité, lutte contre le colonialisme, démocratie, justice pour tous, tolérance linguistique et religieuse, etc. Les idées des patriotes avaient des racines partout sur notre territoire : lors des dernières élections avant les soulèvements, ils ont remporté 77 des 88 sièges en jeu.

Si la rébellion des patriotes avait réussi, notre société aurait été en avance sur son temps dans bien des domaines. Leurs horizons étaient universels2.

Ils ont été pendus.

La répression britannique fut extrêmement brutale. Emprisonnements par centaines, pendaisons, condamnation à l’exil et aux travaux forcés, églises profanées, maisons brûlées (dont tout le village de Saint-Benoît, un village qui s’était déjà rendu).

Le rapport Durham, publié quatre jours avant que Chevalier de Lorimier ne monte sur l’échafaud, serait qualifié aujourd’hui de pamphlet raciste. Il annonce la mise en place d’une politique féroce d’assimilation et de minorisation des francophones. Le Bas-Canada, puis le Québec, s’enfonceront dans une défaite qui durera, à bien des égards, presqu’un siècle.

Entre 1830 et 1844 seulement, 40 000 Québécois quitteront le Canada pour échapper à la misère, une misère qui n’est pas répartie également : de 1820 à 1850, 850 000 Britanniques y entraient. Il y aura cent ans de loi anti-français. Les Métis et leurs chefs, révoltés eux aussi, subiront le même sort que les Québécois – qui seront d’ailleurs les seuls à pleurer la mort de Louis Riel.

Le sacrifice des patriotes nous donne à tous un devoir de mémoire, mais surtout, une exigence de transmission.

Alors que les Canadiens célèbrent l’anniversaire de la reine Victoria, celle-là même qui régnait sur l’Empire britannique en 1837, relisons les lettres de Chevalier de Lorimier. Le jour précédant sa pendaison, il écrivait ceci à ses enfants : « Le crime de votre père est dans l’irréussite. Si le succès eut accompagné ses tentatives, on eût honoré ses actions d’une mention respectable. Le crime fait la honte et non pas l’échafaud3. »

Transmettons aujourd’hui à nos propres enfants ce que de Lorimier n’a pu transmettre aux siens, c’est-à-dire, le jugement de l’Histoire. Les idéaux pour lesquels de Lorimier et ses compagnons ont été pendus, pour lesquels tant de familles ont souffert, l’ont finalement emporté. C’est ce qui fait des patriotes les vrais vainqueurs de l’Histoire.

1. Tirées en grande partie de la Déclaration d’indépendance de 1838, les 92 résolutions ratissaient encore plus large.

2. Lisez l’article « Mythes fondateurs du Québec : les patriotes »

3. « Le crime fait la honte et non pas l’échafaud » est un alexandrin de l’auteur Thomas Corneille, frère de Pierre Corneille. De Lorimier, un notaire, avait fait des études classiques. Source : 15 février 1839, Lettres d’un patriote condamné à mort. Éd. préparée par Marie-Frédérique Desbiens et Jean-François Nadeau. Coédition, Agone. 2001