Le Québec a toujours eu une relation d’amour-haine avec l’Alberta. C’était le pays des cowboys de droite, riches de leur pétrole et qui étaient prêts à laisser l’est du pays « geler dans le noir ».

En même temps, c’était une province qui avait une vision du fédéralisme plutôt compatible avec celle du Québec, plus autonomiste et moins disposée à accepter qu’Ottawa devait tout décider.

À l’époque, on disait que René Lévesque était proche d’un seul de ses collègues premiers ministres provinciaux, soit le légendaire Peter Lougheed, qui fut premier ministre incontesté de l’Alberta pendant 14 ans.

Le Québec a longtemps eu un bureau à Edmonton, malheureusement fermé en 1995. Mais un bureau commercial du Québec a été ouvert récemment à Calgary.

Mais au-delà de ces affinités, il y a une bonne raison pour laquelle les Québécois – comme tous les Canadiens, d’ailleurs – devraient s’intéresser à l’élection qui aura lieu en Alberta le 29 mai. Parce que l’Alberta risque fort de devenir le laboratoire pour tester les messages de la droite conservatrice pour les prochaines élections fédérales.

Si plusieurs ont été choqués par l’argumentaire du chef conservateur fédéral, Pierre Poilievre, ils le seraient tout autant par celui de la première ministre Danielle Smith, qui exprime tout haut son admiration pour des politiciens américains, comme le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis.

« Il a été capable de créer un petit bastion de liberté et nous voulons créer un petit bastion de liberté en Alberta », a dit Mme Smith. Le gouverneur DeSantis, adversaire de Donald Trump pour l’investiture républicaine, a choisi de courtiser la droite dure. Interdiction de l’avortement après seulement six semaines, la peine de mort pour les abus sexuels sur des enfants et une guerre à finir contre Disney – l’un des principaux employeurs de la Floride – qui serait contaminée par l’idéologie « woke ».

Mais tout indique que la campagne électorale conservatrice ne portera pas sur ces thèmes et que Mme Smith entend plutôt parler au portefeuille des Albertains. Sa première promesse électorale fut une réduction du fardeau fiscal global d’environ 1 milliard avec, entre autres, la création d’un nouveau palier d’imposition plus bas pour les moins bien nantis.

Mme Smith était députée conservatrice à la législature de l’Alberta et a quitté son parti en 2014 pour former le parti Wildrose, une division qui a joué un rôle important dans la défaite des conservateurs et la victoire surprise du Nouveau Parti démocratique, dirigé par Rachel Notley, qui sera son principal adversaire durant cette campagne.

Le Wildrose est rentré au bercail et a fusionné avec les conservateurs pour former le Parti conservateur uni. Mais, malgré une victoire électorale, le mandat n’a pas été de tout repos pour les conservateurs. En particulier, la pandémie et les mesures sanitaires auront causé de profondes divisions qui amèneront le premier ministre Jason Kenney à démissionner. Mme Smith lui succédera.

La campagne sera donc entre deux cheffes qui ont été première ministre. Mais avec des idéologies presque diamétralement opposées, en particulier en ce qui concerne leur vision du fédéralisme.

Le premier projet de loi déposé par Mme Smith s’appelait « Loi sur la souveraineté de l’Alberta dans un Canada uni ». Le titre fait sourire au Québec et fait penser aux théories politiques d’Yvon Deschamps. Mais c’était plutôt une véritable déclaration de guerre au gouvernement fédéral.

Cela permettrait, entre autres, à la législature de l’Alberta de se soustraire aux lois fédérales qu’elle estimerait néfaste pour la province.

Quand on sait que Mme Smith s’oppose à toute idée de transition énergétique.

Si le gouvernement dit espérer réussir la décarbonation de son économie d’ici 2050, il y a bien peu de mesures concrètes qui ont été annoncées et l’industrie pétrolière et gazière reste la fondation de l’économie albertaine.

La première ministre Smith a longtemps critiqué la Loi canadienne sur la santé, même si elle dit aujourd’hui qu’elle appuie le financement public du système de santé.

Elle a aussi évoqué la possibilité de quitter le Régime de pensions du Canada et de créer l’équivalent albertain de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Et elle est également très critique de la péréquation, dont l’Alberta est un des contributeurs.

Mais son message touche autant sa vision du fédéralisme qu’une droite décomplexée qui ne craignait pas, par exemple, d’afficher son appui aux convois des camionneurs, comme le faisait M. Poilievre à Ottawa.

De son côté, le NPD de Mme Notley adopte des positions beaucoup moins clivantes et assez traditionnelles pour son parti, en particulier quand il s’agit de coopérer avec le gouvernement fédéral.

En Alberta, on dit que la capitale, Edmonton, vote NPD ; les régions rurales votent conservateur et l’élection se décide à Calgary. Les deux partis sont au coude à coude dans les sondages. La campagne électorale sera déterminante. Et elle sera surveillée de près par les partis politiques à Ottawa.