Beaucoup d’agitation du côté des trolls cette semaine. Il faut dire que l’actualité a été faste pour eux.

Abandon programmé du troisième lien à Québec, ou plutôt, sacrilège pour les dévots du pickup et de l’auto solo : un troisième lien entièrement consacré au transport en commun, jusqu’à sa probable annulation tout court. Révélation du nom de la victime d’Harold LeBel, la mairesse de Longueuil Catherine Fournier, et célébration de son immense courage. Mais pas que. Certains animateurs de radio lui ont reproché sa quête de justice… Il y eut aussi Musk qui a « décrocheté » les personnalités sur Twitter, taxé la CBC d’être un média d’État, avant de se dédire. Les armées élonesques vivent depuis un party 24/7 sur Twitter. En gros, ce fut une semaine riche pour les énervés du bocal. Les extrémistes de tout poil n’ont pas manqué de carburant.

Et au milieu de tout ce raffut, une page s’est tournée. Ricardo Larrivée a présenté sa dernière émission de télé quotidienne après 21 ans à Radio-Canada, mais surtout, dans les maisons des Québécois. Je vais ici parler de Ricardo car pour moi, cet homme – et cette marque – est un baromètre de l’état intime du Québec.

Dans le paysage médiatique depuis trois bonnes décennies, il a construit un empire (récemment absorbé par le groupe Sobeys). Sa figure amicale régit littéralement ce qu’un grand nombre de Québécois mangent tous les jours. Cherchez une recette de bolognaise ou de ragoût ; invariablement, l’algorithme vous renverra à Ricardo. Son positionnement est incontournable.

Il est une marque, mais avant tout un prénom. Un ami de tous, familier par sa présence à la télé, où il a grandi en cuisine avec nous, progressivement, ne reniant pas ses valeurs : la famille et l’éducation.

Il milite depuis toujours pour une meilleure littératie culinaire, dès l’enfance. La démocratisation de la cuisine est son engagement. Il a contribué à mettre de l’avant une cuisine soucieuse des enjeux actuels, accessible, simple et peu intimidante. Ordinaire, mais avec une twist. Il est riche, mais modeste. C’est le bon gars fiable. Jamais confrontant, mais ferme et déterminé.

Sa cuisine est une métaphore de l’état d’esprit du Québec, un baromètre de nos états d’âme collectifs. Ses deux ouvrages consacrés à la mijoteuse, dans les années 2010, ont été d’invraisemblables succès. Ils ont propulsé la vente de ces petits électroménagers indissociables de cette époque, et la cuisine de manger mou. La mijoteuse a pour effet de rendre tous les aliments mous et parfaitement digestes. Elle éteint les couleurs et mêle les saveurs. Elle est sans effort : on y jette tout pêle-mêle et six heures plus tard, un tajine de poulet aux dattes ou une lasagne en émergent !

Nourriture tendre et molle, refuge culinaire, doudou des papilles. Le Québec de ces années-là est post-post-référendaire, léthargique et libéral. Quand le printemps érable survient en 2012, une partie de la population vit le réveil de la jeunesse comme un choc. La mijoteuse est comme un refuge symbolique, un réconfort gustatif.

Dans les années 2020, et particulièrement avec la pandémie, les fractures sociales se creusent, les esprits s’échauffent ; le Québec est à BROIL. Ricardo le pressent ! Il lance À la plaque !, où les aliments passent à la cuisson vive et saisissante. Il capte l’air torride du temps et le transpose en cuisine. C’est rapide, à vif, totalement de son époque.

Et récemment, alors que le Québec vivait des transes collectives face à l’immigration, il publie Manger ensemble, un livre rassembleur sur l’accueil et la joie du partage. À travers ses recettes, Ricardo nous invite à nous ouvrir à la table des autres, à nous questionner, nous métisser. Sa recette la plus populaire ressemble à ce que nous devenons, souples et ouverts : un tofu général Tao…

L’air de ne pas y toucher, Ricardo parle de sa société. Il a changé nos habitudes, et même, nos valeurs en cuisine. Il est le principal pourvoyeur de nos succès culinaires au quotidien.

Même si toute une génération de cuisiniers, de Pinard à Marilou en passant par di Stasio, nous ont fait évoluer, peu le font sur une base si domestique, si triviale. Il a compris l’appétit du Québec.

C’est pourquoi la politique n’est jamais loin de la politique alimentaire. Impliqué dans le volet alimentaire du LAB École, il a tâté la politique par la bande. Son association avec Sobeys, la passation de son émission aux mains de la relève – Isabelle Deschamps Plante –, son implication auprès des jeunes laissent entendre qu’il n’est pas près de s’en aller, mais sa popularité et son intuition de ce qu’est le Québec font de lui quelqu’un de certainement très courtisé. Il maîtrise déjà les ingrédients de la soupe québécoise. Reste à savoir quel est le parti politique qui goûte le plus le mijoté…