Pour comprendre la crise qui déchire la France depuis le début de février, il faut regarder la personne même d’Emmanuel Macron, qui fait obstacle à la réforme des retraites qu’il a décrétée.

À gauche, on qualifie le président de « méprisant », vivant « en dehors de toute réalité », et à droite de « dangereux », « irresponsable » et sa réforme de « grand gâchis ». La première ministre Élisabeth Borne a senti le besoin de contredire son chef en appelant à « ne pas brusquer les choses » et à observer « une période de convalescence », tandis que le député Nicolas Dupont-Aignan, gaulliste et partisan de l’ordre, a évoqué la destitution du président.

Et pourtant Macron ne cède rien. Dans une adresse solennelle prononcée lundi soir, il a consacré à peine trois minutes à sa réforme des retraites et à la crise qu’elle a déclenchée et qui dure depuis trois mois. Il a surtout insisté sur sa volonté de mener de nouvelles réformes, notamment en matière de travail, ce qui laisse présager d’autres conflits.

De même qu’elle a l’habitude des grèves et des manifestations, la France a une longue tradition de présidents qui se sont distingués par leur arrogance. Qu’on pense à Valéry Giscard d’Estaing, surnommé « VGE le monarque », à François Mitterrand, passé maître dans l’art de ridiculiser ses adversaires (à Jacques Chirac qui rappelait lors du débat à la présidentielle de 1988 que Mitterrand n’était plus président ni lui premier ministre, Mitterrand a répondu, sourire en coin : « Mais vous avez tout à fait raison, monsieur le premier ministre ! »), et à Nicolas Sarkozy qui, au cours d’un dîner avec des parlementaires en 2009, a réussi l’exploit d’insulter trois chefs d’État : Barack Obama (qu’il jugeait trop « faible »), Angela Merkel (qui mettait trop de temps à « comprendre ») et José Luis Zapatero (« pas très intelligent »)⁠1.

Mais Emmanuel Macron semble dans une catégorie à part. Pour nous qui sommes habitués aux excuses de Justin Trudeau et à son ton contrit, le contraste est brutal.

Depuis son entrée en politique, Macron multiplie les formules méprisantes.

Il a qualifié les opposants à ses projets de réforme de « fainéants », de « cyniques » et de « Gaulois réfractaires au changement ». À un adolescent qui se plaignait de manquer d’argent, le président, vêtu d’un complet à 1600 euros, a répondu : « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». À un chômeur qui se disait incapable de trouver du travail, il a rétorqué : « moi, je traverse la rue et je vous en trouve »2.

Les récentes interventions de Macron sur la scène internationale n’ont guère été plus heureuses. Lors d’une visite en République démocratique du Congo, en mars, il s’est permis de faire la leçon au président Tshisekedi, sur un ton condescendant et paternaliste qui rappelait l’époque de la colonisation⁠3, un « mélange de Tintin au Congo et d’OSS 117 », pour reprendre les mots d’un député. Et la semaine dernière, au terme d’une rencontre avec Xi Jinping, Macron est parvenu à indisposer tous ses alliés en revendiquant une troisième voie entre l’Orient et l’Occident, entre la Chine et les États-Unis⁠4. N’est pas de Gaulle qui veut.

Mais qui est Emmanuel Macron ?

Surnommé le « Mozart de la finance » en raison de ses exploits comme banquier chez Rothschild (il a notamment piloté une transaction de 9 milliards d’euros entre Nestlé et Pfizer), Macron est un partisan de la dérégulation et de la libéralisation du marché. Il vise à faire de la France une « nation start-up », comme il l’affirmait en 2017 – en anglais – devant un parterre de gens d’affaires français : « Je veux que la France soit une nation start-up. Ce qui signifie une nation qui travaille avec et pour les start-up, mais aussi une nation qui pense et bouge comme une start-up. » Dans l’ancienne gare où il prononçait son discours, il avait ajouté ceci : « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien. »

À l’évidence, cette nouvelle réforme des retraites, la septième en 30 ans et la seconde de Macron, menée sur fond d’inflation galopante, ne passe pas, tant dans la manière que sur le fond.

Le recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans est la dernière d’une série de mesures restrictives adoptées au fil des ans, qui ont haussé la durée de la cotisation pour la pleine retraite à 43 années, revu le calcul de la rente sur la base des 25 meilleures années de salaire, éliminé des assouplissements pour les métiers pénibles, relevé l’âge du taux plein à 67 ans, des changements qui risquent de faire souffrir particulièrement les ouvriers (dont seulement 70 % sont encore en vie à 64 ans, contre 96 % des cadres)⁠5. D’ailleurs, les Français des classes populaires – lesquelles comptent peut-être aux yeux du président Macron parmi ces « gens qui ne sont rien » – se tournent massivement vers Marine Le Pen, qui deviendrait présidente à 55 % -45 % si une élection présidentielle avait lieu aujourd’hui⁠6.

Comme Macron ne peut briguer un troisième mandat, de tels résultats relèvent de la pure hypothèse. Mais ils disent quelque chose du sentiment des Français à propos de ce président de plus en plus étranger à son propre peuple, sorte de loup de Wall Street à l’européenne, qui pourrait bientôt devenir – comme François Hollande avant lui – un « canard boiteux ».

1. Lisez le texte du Foreign Policy Magazine (en anglais) 2. Lisez l’article de La Dépêche

3. À propos de la guerre qui déchire le pays, déchiré entre les intérêts miniers des étrangers et des habitants, Macron a eu ces mots : « Depuis 1994, ce n’est pas la faute de la France, pardon de le dire dans des termes aussi crus, vous n’avez pas été capable de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative de votre pays. C’est aussi une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur dans cette affaire. » Ce à quoi le président Félix Tshisekedi a répondu : « Voyez-vous, c’est justement ça qui doit changer dans nos rapports avec la France en particulier et l’Europe en général, avec l’Occident. Votre façon de voir les choses quand elles se passent en Afrique. »

Voyez l’échange Macron-Tshisekedi 4. Lisez l’article du Guardian (en anglais) 5. Lisez le texte de la Revue Française de Socio-Économie 6. Lisez le texte d’Elabe