Un jour, le brillant et très écolo horticulteur Denis Lebreton m’a guidé vers la lecture du bouquin Le monde caché de Merlin Sheldrake. Une grosse brique portant sur l’extraordinaire place occupée par les champignons et les lichens dans la biosphère.

C’est cette lecture majeure qui m’a donné le goût de « chroniquer » aujourd’hui sur le Wood-Wide Web que certains scientifiques trouvent tiré par les cheveux. Le concept a été popularisé en 1997 par le mycologue britannique David Read. Mais il doit largement aux travaux de l’écologiste canadienne Suzanne Simard.

De quoi s’agit-il ? Par analogie à notre internet, le web forestier est représenté par le réseau souterrain de filaments mycéliens qui relie les plantes. Si la force de notre internet se mesure en mégabits, celle de la toile mycélienne s’exprime en masse de carbone voyageant dans les hyphes de champignons qui peuvent s’étendre sur de très longues distances.

Ainsi, en 1998, on a trouvé en Oregon un champignon dont les filaments s’étendent sur 880 hectares de forêt. Plus que de simples individualités, les arbres partageant cette toile forment une véritable communauté.

Est-ce qu’il y a une parenté biomimétique entre les réseaux humain et fongique ? Non ! La part des champignons dans la naissance de notre internet est peut-être ailleurs, dit Michael Pollan. Dans Voyage aux confins de l’esprit, Pollan évoque un probable lien de causalité entre la découverte de la psilocybine et du LSD par la contre-culture des années 1960 et la genèse du réseau informatique internet.

La relation n’est peut-être pas directe, dit-il, mais on peut certainement trouver un lien entre l’arrivée des drogues psychédéliques d’origine fongique et le boom technologique qui se produira 20 années plus tard dans la Silicon Valley.

Je le cite : « Dans quelle mesure le concept de cyberespace, ce lieu immatériel où l’on peut construire une nouvelle identité et rejoindre une communauté d’autres sujets virtuels, doit-il à une imagination sous l’acide ? Et la réalité virtuelle ? La notion même de cybernétique, c’est-à-dire l’idée que la réalité matérielle puisse être traduite en bits d’information, doit peut-être, elle aussi, quelque chose à l’expérience LSD et à la capacité de cette substance de transformer la matière en esprit. »

Cela dit, la Terre étant une planète végétale qui repose sur des fondations fongiques et bactérienne, le web forestier est bien plus essentiel à la biosphère que celui qui a accouché de nos réseaux sociaux. La très grande majorité des plantes ont des partenaires mycéliens dans le sol qui leur fournissent des ingrédients et de l’eau.

Pour honorer cette association à intérêts réciproques, les végétaux doivent partager les sucres qu’ils fabriquent avec eux. Certaines plantes retournent ainsi jusqu’à un tiers des produits de leur photosynthèse à ces travailleurs dans l’ombre. Les spécialistes ont aussi découvert que les champignons symbiotiques améliorent la résistance des végétaux au stress et aux attaques parasitaires.

Plus que de simples câbles de transmission d’informations, dit Sheldrake, ils peuvent même favoriser leurs fidèles partenaires et couper les vivres aux moins généreux à leur égard.

Ce monde extraordinaire vous intéresse ? Je vous recommande de lire Les mycorhizes : l’essor de la nouvelle révolution verte. Ce bouquin publié par Jean André Fortin, Christian Plenchette et Yves Piché a changé profondément mon regard sur la vie végétale et la place du réseau fongique dans le vivant.

À la fin des années 1990, la sommité canadienne de l’écologie forestière, Suzanne Simard, a découvert, en milieu naturel, des partages de « nourriture » entre des bouleaux et des sapins via ce réseau fongique. En donnant du carbone marqué à des bouleaux, Simard a constaté un peu plus tard qu’ils en avaient refilé à des sapins. Le bouleau à papier et le sapin de Douglas, deux espèces bien différentes, partageaient des ressources nourricières via le web fongique.

Plus touchant encore, la scientifique découvrira que ce sont de jeunes sapins désavantagés par leur localisation en zone ombragée qui avaient bénéficié de la « largesse » des bouleaux. Au printemps, quand les bouleaux dénudés étaient incapables de faire la photosynthèse, ils recevaient des ressources provenant des sapins.

Au milieu de l’été, lorsque surplombés par le feuillage des grands arbres, les jeunes sapins peinaient à trouver le soleil, ce sont les bouleaux qui renvoyaient l’ascenseur. Le flux de partage était donc bidirectionnel.

Grâce aux Wood-Wide Web, dans une forêt, dit Sheldrake, des surplus peuvent passer ainsi des zones d’abondance vers les zones de pénurie. L’auteur rapporte aussi des histoires qui auraient fait pleurer ma défunte maman, pour qui le partage et l’entraide étaient au centre de sa vie.

On a déjà observé, dit-il, des transferts de ressources de plantes mourantes vers des plantes saines voisines. Une sorte d’exécution testamentaire prémortem. Que dire aussi des plantes en santé qui viennent en aide à une souche qui a encore des chances de renaître ?

Les arbres qui sortent de leur dormance en ce printemps qui commence sont peut-être les modèles à copier pour une coexistence durable avec la biosphère. Si le capitalisme célèbre la seule compétitivité, les plantes à fleurs sont un peu plus portées sur l’économie de partage.

Plus que nous donner des sucres en empruntant le réseau de tuyaux qui parcourent les érablières en ce temps des sucres, elles ont des choses à nous apprendre pour améliorer notre rapport problématique avec la biosphère.