J’aime Pierre Fitzgibbon. Parfois, pas tout le temps. Pas quand il se pense au-dessus du code d’éthique des élus de l’Assemblée nationale. Pas quand sa vision du développement économique est de transformer le Québec en Dollarama de l’énergie, comme le disait la présidente d’Hydro-Québec.

Mais M. Fitzgibbon est à peu près le seul ministre à avoir la stature et la capacité de dire que certaines politiques de son gouvernement ne sont que des « lignes de presse », des relations publiques qui ne tiennent pas compte de la réalité.

Prenez sa déclaration récente sur le fait que les Québécois devront apprendre la « sobriété énergétique ». Commencer à ménager l’électricité. À utiliser le lave-vaisselle tard en soirée ou à baisser le chauffage quand ils quittent la maison et le remonter quand ils rentrent.

On peut dire que c’est plein de sens et que ça fait longtemps qu’on aurait dû faire ça, même si les campagnes d’Hydro-Québec en ce sens n’ont pas eu les succès escomptés.

On peut aussi craindre qu’il veuille que les consommateurs québécois ménagent l’électricité pour en avoir plus à vendre à de gros consommateurs étrangers, soit en vente directe, soit à des alumineries ou autres industries énergivores.

Mais M. Fitzgibbon a également envoyé un autre message. Contraire à l’attitude officielle du gouvernement Legault sur les questions d’environnement : soit qu’on pourra atteindre nos cibles de réduction des gaz à effet de serre sans vraiment changer nos habitudes. Qu’on pourra facilement rouler vers un Québec décarboné tout en conservant son F-150.

Si on veut être sérieux dans la réduction de notre consommation, il faudra prendre des mesures pas mal plus draconiennes que la tarification dynamique de l’électricité pour qu’elle coûte plus cher aux heures de pointe.

Et il est inévitable qu’il faudra changer certaines de nos habitudes et même certains modèles de développement comme l’étalement urbain. M. Fitzgibbon n’est pas rendu là, mais, au moins, il sait que le changement ne viendra pas si on n’est pas capables d’arriver « dans une maison froide » plutôt que de la chauffer quand elle est vide !

Autre exemple, la politique d’immigration qui voudrait accueillir 100 % d’immigration francophone et qui est présentée par le gouvernement comme le meilleur moyen d’éviter la « louisianisation » du Québec.

On n’avait pas fini d’annoncer la politique que M. Fitzgibbon réclamait déjà des exceptions à la règle du 100 %. Et pour cause.

On ne peut pas vouloir que le Québec devienne un leader mondial dans la filière batterie et dans l’électrification des transports si on ne peut pas recruter, où qu’ils se trouvent, les meilleurs chercheurs, experts et techniciens.

Par exemple, disait le ministre, il y a déjà des entreprises, comme la sud-coréenne Posco, qui va implanter sous peu, à Bécancour, une usine de cathodes pour les batteries au lithium. « C’est clair qu’il n’y a pas beaucoup de Sud-Coréens qui parlent français », disait-il.

Évidemment. Et c’est vrai aussi dans plusieurs autres secteurs importants, en particulier dans la région de Montréal comme l’intelligence artificielle, le génie, la santé ou les jeux vidéo.

« Ce serait le fun d’avoir 100 % [de nouveaux arrivants francophones], mais il faut être réaliste, il faut balancer ça avec les besoins. Il faut faire des exceptions », disait aussi M. Fitzgibbon. Ce qui est le simple bon sens.

Mais le gouvernement, le premier ministre en tête, dit vouloir arriver à 100 % d’immigration francophone. Ce qui est assez spectaculaire comme revirement : pendant la campagne électorale, la question de l’immigration a été utilisée par la CAQ comme épouvantail, la preuve du grand danger pour la survie du français. Maintenant, c’est devenu la planche de salut du français. Ça doit être ça « faire du judo », pour reprendre une expression à la mode.

Évidemment, rien de tout cela ne va aider à régler les problèmes de pénurie de main-d’œuvre que l’on retrouve partout, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Dans les grandes villes comme dans les régions. Un problème qui est en voie de devenir un véritable fléau dans plusieurs secteurs d’activité.

Et, là-dessus, le ministre de l’Économie ne remet nullement en question la position du gouvernement. Pour lui, la solution est de requalifier la main-d’œuvre, même si ça prendra beaucoup plus de temps et que la crise est maintenant.

Comme le disait le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain : « La main-d’œuvre disponible qui est déjà présente sur le territoire, de toute évidence, elle ne comble pas les besoins actuels. »

Bon, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un ministre indique toujours son désaccord avec son gouvernement. Mais je ne peux pas m’en empêcher : parfois, juste parfois, j’aime bien le franc-parler de Pierre Fitzgibbon.