Boufeldja Benabdallah, mon ami. Le fédéral a finalement bougé concernant les armes de poing au pays. Interdites. Il a fini par comprendre qu’on ne possède pas des machins du genre pour chasser l’orignal au centre-ville. Ça lui a pris du temps à la pogner, celle-là !

Enfin, bravo à toi pour tout le travail dans ce dossier.

On a vécu la tuerie de la Mosquée ensemble, toi porte-parole de ta communauté musulmane, et moi comme maire. Notre proximité a créé la familiarité, et éventuellement l’amitié. Tu te souviens, comment, un peu rustre, j’ai décidé de t’appeler Ben ?

Je voulais te dire, mes excuses mon ami, ainsi qu’à tes compatriotes, mes voisins, et à tous les membres des communautés culturelles du Québec. Je ne suis pas fier, en fait j’ai honte de ce qui a été dit à votre propos durant la campagne électorale. J’y reviens, parce que je l’ai de travers dans la gorge.

On n’aime pas la chicane au Québec. On voudrait sûrement mettre ces propos derrière nous, oublier, que ce soit radoter d’en reparler. C’est une mauvaise idée, cela serait banaliser, accepter et abdiquer.

Je crois toujours que le racisme n’était pas institutionnel au Québec, mais le fait d’un comportement collectif induit et historique. Ce qui le systémise dans l’espace social. Mais quand le premier ministre et son ministre de l’Immigration s’expriment comme ils l’ont fait durant la campagne, je me dis que le racisme systémique peut sembler s’institutionnaliser, avec ces relents de sectarisme qui peuvent rappeler des souvenirs alarmants à nos concitoyens des communautés culturelles.

« How dare you ! », avait lancé Greta Thunberg, à l’ONU.

Comment osez-vous, messieurs, apparenter l’immigration à la violence, à la fainéantise et au rejet de notre langue !

Savez-vous ce que c’est d’être Irakien, sortir d’un camp de réfugiés, et arriver avec une famille de cinq personnes au Québec ? Même parrainé. Exténué, désemparé, traumatisé par la violence chez vous. Se loger, trouver un emploi, s’adapter aux petits gestes de la vie, énormes, parce que vous n’avez pas de références culturelles.

Apaiser la famille, les enfants. Travailler à plein temps, apprendre un métier, et une langue en même temps, et suivre des cours. Et quoi d’autre ?

Et vous voudriez que ces gens-là parlent efficacement le français au bout de six mois, parce qu’à partir de cette date les communications avec le gouvernement se feront obligatoirement dans cette langue ? Êtes-vous tombés sur la tête, maudite marde ? En seriez-vous capables, vous ?

Cher Ben, on se l’est déjà dit, on n’est pas obligé d’être d’accord sur tout.

Tu te souviens, quand je t’ai raconté ma colère, un jour où, en visite à Copenhague, sous une chaleur torride, j’ai aperçu un couple, elle sous un tchador de pied en cap, et même gantée, et lui, en culotte courte de sport, t-shirt et gougounes. Tu te rappelles que je t’ai mentionné comment je lui aurais arraché la tête au mec, tellement je trouvais la situation révoltante.

Je sais que tu n’apprécies pas cette sorte de langage, il est le mien, avec ma culture personnelle. Mais tu ne m’as pas jugé, tu as simplement accueilli mon indignation, tu t’es gardé d’exprimer ton opinion, je te comprends, tu dois rassembler…

Tu n’as de cesse de prôner la tolérance et l’amitié entre nos communautés. Et alors que des fous se battent, chiites contre sunnites, au nom du gendre, ou du vieux chum de Mahomet, ta conjointe et toi, êtes l’un et l’autre. Je ne crois pas que vous vous lanciez des casseroles par la tête à la maison…

On en a échangé de la tristesse, tout notre soûl, toi et moi. En fait, on s’est connu en pleurant. Pas l’idéal. On a pleuré pour tes frères assassinés, pour notre ville, qu’on ne reconnaissait plus. Maudit que ça nous a fait mal ! Mais malgré tout, tu vois le mieux au lieu du mal, tu cherches ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain.

Tu te souviens, quand je t’ai appelé un soir, et que tu changeais tes serrures parce ce que tu avais peur, comme tes compatriotes. Je ne me doutais pas qu’on puisse craindre pour son intégrité physique à Québec. J’ai fermé l’appareil, sonné. Ça se passe chez nous, ça ? Ben voyons donc !

Al-Qaïda, Oussama, Califat, et autres dégénérés, ça ne fait pas de toi un terroriste. Toi, l’Arabe, qui vit ici depuis des décennies, d’ancêtres berbères, né dans une ville vieille de plus de plus de 1500  ans, et qui fut aussi romaine, Pomaria. Je paraphrase quelqu’un qui a travaillé fort sur une charte des valeurs : lâchez-moi avec les amalgames !

Mais tu vois, Ben, nos politiciens ont compris le truc. Comme trop d’entre eux, en Amérique et en Europe. Il n’y a rien comme se taper de l’immigré, pour picorer des votes additionnels chez les nés natifs. Eh oui ! Même ici, au Québec. Même venant de nous, une minorité. C’est petit, et sans-cœur.

En plus de vous, ce sont aussi vos enfants qui risquent de payer pour ces propos indécents, par encore plus de stigmatisation. Ça me révolte. Parce que personne ne mérite ça, surtout pas des enfants. Ça vous colle à la peau toute une vie, se faire humilier quand on est jeune.

Mais finalement, on n’a peut-être pas tout perdu mon ami, on a quand même gagné un cimetière.

Entre nous

J’ai lu le très beau livre de Caroline Dawson, Là où je me terre. Merci, Guy A. Une magnifique humaine !

Il raconte l’immigration de sa famille chilienne à Montréal, avec ses grandeurs et ses misères. Surtout les misères. Et le quotidien de l’intégration de Caroline.

Le premier ministre Legault, l’an dernier, sur sa page Facebook, a louangé ce livre : gros coup de cœur pour ce magnifique roman.

Il s’agit d’un récit autobiographique.

Et on peut imaginer facilement comment ses propos, et ceux de son collègue de l’Immigration à l’époque, ont blessé, probablement humilié, et inquiété cette famille chilienne ayant connu la dictature de Pinochet.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DU REMUE-MÉNAGE

Là où je me terre, de Caroline Dawson