Le problème de Dominique Anglade doit peut-être à sa façon de faire de la politique, mais il vient aussi de plus loin que son règne. Cette descente aux enfers du Parti libéral du Québec (PLQ) a été amorcée par Jean Charest, réalisée par Philippe Couillard et achevée par Dominique.

Pour raconter mon histoire, je vais laisser de côté les parfums indélébiles de l’époque Charest sur le PLQ et partir de la convaincante victoire de Couillard sur les troupes de Mme Marois en 2014. La campagne du Parti québécois allait bien jusqu’à ce qu’un puissant combattant qu’on ne voyait pas arriver débarque dans l’arène et lève son poing qui voulait faire un pays. Cet évènement poussa les électeurs qui ne voulaient pas entendre parler de référendum dans les bras du docteur Couillard. Il remporta facilement la victoire, au grand bonheur de Dominique Anglade qui avait quitté la Coalition avenir Québec (CAQ) pour le PLQ. En cause, un malaise avec certaines positions identitaires de Legault.

C’était à l’époque où la seule évocation du mot « référendum » suffisait à donner le pouvoir au PLQ.

Après ces élections, un autre narratif sur les facteurs qui ont contribué à la victoire a commencé à circuler. Bien des libéraux se sont laissé convaincre que c’est le combat de Couillard contre la charte de Bernard Drainville qui a été récompensée par les électeurs. Pourtant, tout observateur attentif de la politique sait que c’est le poing de Pierre Karl Péladeau qui a fait dérailler la campagne du Parti québécois (PQ), car avant ce coup d’éclat, 59 % des francophones étaient en faveur de la charte.

Certain d’avoir gagné en combattant le « côté obscur » de la force péquiste, Couillard décida de jouer à fond la carte de l’ouverture et du curé défenseur du multiculturalisme canadien pendant son mandat. Il travailla surtout à tasser Legault dans le camp de ceux qui carburent aux braises de l’intolérance. Une stratégie qui a même amené le gentil et respectable Carlos Leitão à oser comparer le projet de la CAQ aux nationalismes identitaires d’extrême droite qu’on trouve en Europe. Objectif ? Envoyer Legault dans le club des infréquentables où se flagellait déjà le PQ après son projet avorté de charte des valeurs québécoises. Or, en regardant toujours du même côté lorsque venait le temps de parler d’intolérance et de manque d’ouverture, Couillard finit par user le lien de confiance avec le vote francophone.

Se sentant personnellement visés par ses insinuations, beaucoup de Québécois francophones commencèrent à se trouver laids dans ses yeux, car personne n’aime se faire regarder avec mépris.

Beaucoup arrivèrent à la conclusion, à tort ou à raison, que la seule façon d’être considéré fréquentable dans sa vision multiculturaliste, c’était de renoncer à ce qu’ils sont pour permettre aux autres d’exister sans aucun compromis. Un sentiment renforcé par le fait que le docteur ne prenait pas le temps de rappeler que l’intégration mutuelle est un processus qui nécessite un flux bidirectionnel d’intérêt et d’effort de rencontre. Bref, que l’autre qui arrive avait aussi sa part de travail dans la rencontre !

À mon avis, c’est là qu’il faut situer le point de rupture entre le PLQ et le vote francophone un peu plus que dans les impopulaires politiques d’austérité. Les premières salves de ce divorce ont été envoyées aux troupes de Couillard à l’élection partielle d’octobre 2017 dans Louis-Hébert avec l’écrasante victoire de Geneviève Guilbault. Un puissant message que les stratèges libéraux avaient bien décodé. La preuve, après cette défaite, Couillard abandonna précipitamment le projet de commission sur le racisme systémique dans lequel il s’était solidement engagé. Une volte-face qui sera décriée par les partenaires sociaux qui crièrent à la trahison électoraliste. Mais le mal était déjà fait et la suite de cette crise de confiance s’écrivit dans l’écrasante victoire de Legault en 2018 qui laissa le PLQ très meurtri.

Son rejet par les francophones était si franc que Dominique Anglade, qui en deviendra la nouvelle cheffe, décida d’injecter une dose de nationalisme et d’interculturalisme dans son discours politique. C’était la seule façon de reconstruire les ponts. Un tassement vers le dossier identitaire qui ne sera pas bien vu par la base électorale anglophone et allophone du PLQ. Dans l’ouest de l’île de Montréal, le vote soviétique pour le PLQ vient, sans compromis, avec l’option multiculturaliste dont la défense doit rester sacrée et immuable. Alors, voyant Dominique parler d’identité, de langue et d’anglicisation, une partie de cet électorat acquis aux libéraux s’est tassée. Lorsque Dominique finit par réaliser qu’elle ne pourra jamais concurrencer Legault sur le dossier identitaire et que, malgré toutes ses tentatives de séduction, le rejet du PLQ reste sans précédent chez les francophones, elle décida un peu tardivement de revenir à l’ADN du PLQ que sont l’économie et le caractère sacré du multiculturalisme canadien. Malheureusement pour la cheffe, auprès d’un certain vote anglophone et allophone, le mal était déjà fait.

Dominique est donc allée en campagne électorale coincée de tous les côtés. Le terrain de l’économie était désormais occupé par une solide équipe de la CAQ.

Celui de la défense des droits de la minorité anglophone et allophone lui était disputé par Duhaime et Nadeau-Dubois. Elle a essayé de s’approprier le dossier environnemental, mais Québec solidaire et le PQ avaient déjà mis la main dessus. Pour la défense de l’identité francophone, difficile d’aller plus loin que ce que la CAQ et le PQ faisaient. Bref, comme dans un jeu de chaises musicales électorales, le PLQ n’a pas trouvé de place où poser ses fesses aux dernières élections. À moins d’un revirement spectaculaire, cette fâcheuse position est là pour de bon.

Alors, si j’étais cette brillante fille qu’est Dominique Anglade, je partirais maintenant, car il y a plus de mérite à quitter le navire qu’à se laisser balancer par-dessus bord.

Un peu comme ça se passe à Occupation double, le souper d’élimination de Dominique est déjà en marche à l’abri de son regard et de celui de ses alliés. Autrement dit, en croyant que l’élimination de Marie-Claude Nichols allait passer comme lettre à la poste, elle risque de retrouver sa photo dans l’enveloppe de la délibération. « Il faut savoir, coûte que coûte, garder toute sa dignité et malgré ce qu’il nous en coûte, s’en aller sans se retourner. » Ainsi disait Charles Aznavour.