D’abord, établissons ce que cette entente entre les libéraux et le NPD n’est pas : ce n’est pas une fusion, même informelle, des deux partis. Ce n’est pas une coalition, il n’y aura pas de ministres du NPD. Et les conservateurs auront beau déchirer leur chemise, il n’y a rien dans cette entente qui est contraire à nos traditions parlementaires.

C’est une entente de ne pas faire tomber le gouvernement libéral dans un vote de confiance au Parlement pour les quatre prochaines années. Une entente qui pourra être résiliée par l’un des partis s’il estime que l’autre ne tient pas sa part du marché.

En échange, le NPD voit deux de ses priorités être adoptées par les libéraux, soit un programme national de soins dentaires et un programme d’assurance médicaments. Deux choses qui ne sont pas anathèmes pour les libéraux et tellement importantes pour le chef du NPD, Jagmeet Singh, qu’il était prêt à prendre un gros risque.

Et pour le NPD, c’est un pari très risqué. Historiquement, les rapprochements du NPD avec les libéraux ont presque toujours mal tourné pour le plus petit des deux partenaires.

L’exemple le plus évident fut une entente informelle, mais qui ressemblait un peu à celle qui vient d’être conclue, en 1972, entre le NPD de David Lewis et les libéraux de Trudeau père pour que son gouvernement reste en poste après une élection qui l’avait mis en minorité et où il avait une priorité de seulement deux sièges sur les conservateurs. Bref, il aurait pu être renversé presque n’importe quand.

Le NPD a retiré son appui aux libéraux après le discours sur le budget de 1974. Mal lui en prit. Aux élections qui suivirent, les libéraux furent réélus majoritaires et le caucus néo-démocrate fut décimé, passant de 31 sièges à 16, le chef David Lewis étant lui-même battu dans sa circonscription.

Il faudra presque une décennie pour que le NPD, avec son nouveau chef Ed Broadbent, retrouve un caucus d’une trentaine de députés.

La relation entre les deux partis a toujours été une forme d’amour-haine. Comme aimait à le dire feu Jack Layton : « en campagne électorale, les libéraux flashent à gauche, mais rendus au pouvoir, ils tournent à droite ».

Joe Clark, quand il était chef conservateur, disait plutôt : « en campagne électorale, le NPD annonce que les libéraux et les conservateurs ont tous les deux la peste. Puis le NPD emménage chez les rouges… »

Cela dit, il est vrai que les deux partis ont des atomes crochus. D’autant qu’il est évident que, sous Justin Trudeau, les libéraux ont véritablement viré à gauche. Ainsi, un programme national de garderies, comme celui que le gouvernement est en voie de construire, aurait pu facilement se retrouver dans le programme du NPD.

Pour l’instant, l’entente entre les deux partis leur donne surtout du temps. Pour les libéraux, le temps de mettre en place les ambitieuses promesses de la dernière campagne électorale et à M. Trudeau de réfléchir à son avenir.

Le premier ministre a eu beau avertir ses collègues récemment qu’il entendait être là lors de la prochaine élection, il serait le premier à être réélu pour un quatrième mandat depuis Sir Wilfrid Laurier au début du siècle dernier.

L’entente avec le NPD lui donne de temps soit pour planifier une transition, soit pour préparer une possible dernière campagne électorale.

Pour le NPD, cela donne le temps de voir venir. Le parti n’est jamais très riche et jamais aussi bien organisé qu’il ne le voudrait, et une élection précipitée pourrait être très problématique. L’organisation au Québec est en lambeaux et il ne reste plus rien de la vague orange de 2011. Et dans plusieurs provinces, ça ne va guère mieux. Le NPD est le parti qui a le plus avantage à ce que le présent mandat du gouvernement se rende le plus loin possible.

Pour les conservateurs, c’est une assez mauvaise nouvelle. Avec un nouveau chef qui aurait fait son entrée aux Communes en septembre, la tentation aurait été grande d’essayer de renverser le gouvernement et de partir en campagne électorale avec l’avantage de la nouveauté.

En lieu et place, son chef devra passer beaucoup de temps à se demander comment « gagner la journée » à la période des questions, le passage obligé de la vie parlementaire qui tourne rarement à l’avantage du chef de l’opposition.

Mais le véritable danger de cette entente est pour le NPD et son avenir à plus long terme. Pourquoi les électeurs traditionnels de ce parti voteraient-ils encore pour un parti qui n’a pratiquement aucune chance de prendre le pouvoir, alors qu’ils peuvent appuyer le parti qui a les moyens de réaliser son programme ?

C’est une question qui pourrait vite venir hanter M. Singh et son parti.