Vous connaissez un CINO ? C’est la version canadienne d’un RINO (Republican in Name Only), l’insulte suprême de Donald Trump contre ses ennemis. On devrait bientôt avoir la version canadienne : CINO (Conservative in Name Only), des conservateurs qui n’ont que le nom – comme Jean Charest, tel que vu par les partisans de Pierre Poilievre.

M. Charest aurait, dit-on, pris sa décision : il sera de la course à la direction du Parti conservateur, à moins d’un obstacle de dernière minute – possiblement les règles de la course, qui ne sont pas encore connues.

M. Charest sera nécessairement le candidat des anciens progressistes-conservateurs plutôt que des plus radicaux. On l’a vu dans la lettre publiée ce mardi dans La Presse. ⁠1 Une lettre si élogieuse qu’on a dû en préparer une seconde version parce que « la première sentait trop l’encensoir ».

De l’autre côté, le seul candidat officiellement déclaré est le député de Carleton, Pierre Poilievre, partisan d’une droite assumée et sans compromis. Un parlementaire redoutable qui n’a pas l’habitude de ménager ses coups, contre les adversaires des autres partis, mais aussi ceux qui sont dans son parti. Et ses partisans sont actuellement majoritaires dans le parti.

On l’a vu avec l’épisode du « convoi de la liberté », plusieurs membres du caucus conservateur ont pris fait et cause pour les camionneurs. Et pas les moindres. M. Poilieve, bien sûr, mais aussi l’ancien chef Andrew Scheer et celle qui allait être nommée cheffe intérimaire, Candice Bergen. Ce qui fait que le parti « de la loi et l’ordre » a fini par voter contre la Loi sur les mesures d’urgence.

On l’a vu, aussi, dans la fronde contre Erin O’Toole, qui avait eu le malheur d’aller vers le centre sur des dossiers brûlants au Parti conservateur, comme le prix sur le carbone et le contrôle des armes à feu.

Des positions auxquelles M. Charest a adhéré avec enthousiasme quand il était premier ministre du Québec.

Avec un adversaire comme Pierre Poilievre, l’ancien premier ministre du Québec doit s’attendre à être attaqué sur tous les fronts, sur sa pureté conservatrice comme sur son éthique et la manière dont il a transformé le Parti libéral du Québec en machine de financement.

Chez les partisans de M. Charest, on sait tout cela, mais surtout que rien n’est gagné d’avance et on reste optimistes, même si la campagne sera très difficile.

On ne s’en fait pas trop avec le fait que la lettre d’appui dans La Presse ne comptait que huit signatures, dont personne à l’ouest du Grand Toronto et seulement quatre députés. On souligne que le caucus du Québec est solidement derrière M. Charest et qu’au moment où il annoncera sa candidature, il y aura plusieurs députés de partout au pays qui l’appuieront. Même de l’Ouest ? « Il y en aura quelques-uns », dit-on.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Pierre Poilievre, candidat à la direction du Parti conservateur du Canada

La question des règles reste le dernier obstacle. Un vote trop rapide – en juin, par exemple – se ferait pour l’essentiel avec le membership actuel, ce qui ne serait pas à l’avantage de M. Charest.

Chez ses partisans, on a remarqué et on redoute la présence de l’ancienne cheffe adjointe du Reform Party, Deborah Grey – dont l’inimitié à l’endroit de M. Charest est notoire – parmi les membres du comité qui sera chargé d’établir les règles de la course.

En fait, tout ce qui aurait pour effet de nuire à une ouverture du membership actuel du parti sera vu comme une entrave fabriquée sur mesure pour nuire à Jean Charest. Alors ce qui va se passer au comité des règles, qui compte une vingtaine de personnes, va être scruté de près.

Mais si M. Poilievre a l’avantage parmi les plus militants du parti, il y a aussi des membres qui, après trois défaites consécutives, veulent avant tout gagner la prochaine élection.

Un sondage qui montrerait que Jean Charest aurait de bien meilleures chances de devenir premier ministre que Pierre Poilievre pourrait être déterminant dans la campagne.

« En fait, je soupçonne que le sondage est déjà fait et que si Charest décide de se présenter, c’est parce qu’il a ce sondage dans sa poche », disait un conservateur de longue date.

Il y a aussi l’entrée d’autres candidats qui pourraient, à terme, aider M. Charest dans un vote préférentiel. On parle beaucoup de la chroniqueuse Tasha Kheiriddin et du maire de Brampton, Patrick Brown, ancien chef conservateur de l’Ontario.

M. Charest a fait savoir qu’il tenait à l’idée d’un scrutin préférentiel – dans lequel on indique ses préférences en ordre sur un seul bulletin de vote –, car ce serait tout à son avantage. Il serait sans doute le deuxième choix d’autres candidats plus progressistes.

Rien n’est encore joué, mais il est déjà certain que la lutte sera rude et probablement très sale. Bien des vieux conservateurs, pourtant habitués aux chicanes internes, nous disent d’attacher nos ceintures parce que ça va brasser.

1. Lisez « Le Canada a besoin de vous, monsieur Charest »