Tout ça pour ça ! Ça valait bien la peine d’amender la Charte québécoise des droits et libertés pour la première fois sur division de l’Assemblée nationale et sous le bâillon pour une loi qui, après deux ans d’application, n’aura touché qu’une seule personne.

Ça fait penser à la conclusion du rapport de la commission Bouchard-Taylor qui, après avoir étudié pendant des mois ce qu’on a appelé la « crise » des accommodements raisonnables, avait conclu qu’elle était surtout « dans les esprits et dans les perceptions ».

C’est un peu la même chose avec la loi 21. Le gouvernement de la CAQ voudrait en faire une sorte de loi fondatrice de notre vivre-ensemble, une sorte de point final à un déchirant débat de société. Mais, à la fin, elle n’a trouvé d’application qu’une seule fois en deux ans.

Et, soyons sérieux, la loi 21 n’a pas empêché de façon préventive des hordes de femmes voilées ou d’hommes en turban de déferler sur les écoles ou les postes de police du Québec.

Mais il est bien possible que l’inutilité relative de la loi 21 serve maintenant à ceux qui veulent la contester, à commencer par la cause qui va se retrouver à la Cour d’appel du Québec l’automne prochain.

Évidemment, on pourrait penser que la loi 21 est blindée avec l’utilisation de la clause dérogatoire, dite « nonobstant », tant de la Charte canadienne que de la Charte québécoise des droits et libertés.

En passant, cette charte qu’on oublie souvent va être importante dans le reste du débat. Rappelons qu’elle a été adoptée librement et à l’unanimité par l’Assemblée nationale bien avant qu’on commence à parler d’une telle charte à Ottawa. L’argument voulant que cette loi ait été imposée au Québec ne tient donc pas.

La suite du débat juridique a de fortes chances de se déployer sur la nature même de la clause de dérogation. Attention, c’est un peu compliqué, mais c’est un débat important.

Est-ce qu’une législature peut adopter les lois qu’elle veut et les protéger par le « nonobstant » ou s’il y a des limites ? Est-ce qu’il y a simplement des exigences de forme ou si les tribunaux peuvent examiner le fond de la question ?

Actuellement, la jurisprudence estime que les exigences sont seulement formelles. Il suffit, pour que la dérogation soit valide, qu’on utilise la procédure prévue dans la Constitution, soit de déclarer que la loi s’applique indépendamment de la Charte des droits.

Il est déjà évident que plusieurs des avocats qui ont plaidé en première instance devant la Cour supérieure vont essayer dans les étapes suivantes de convaincre les juges et la Cour suprême en dernière instance, qu’il faut baliser davantage l’utilisation de la dérogation.

Il y a déjà, dans la jurisprudence, des lignes directrices pour interpréter la Charte. Entre autres, on exigera que si on contrevient à des droits garantis par les chartes, il faut que ce soit pour « un objectif réel et urgent ». C’est contenu dans l’arrêt Oakes, l’un des premiers jugements de la Cour suprême sur l’interprétation de la Charte.

À la Cour supérieure, le juge Marc-André Blanchard n’a pas voulu aller dans cette direction, mais il a pratiquement invité les tribunaux supérieurs à s’y intéresser.

Des avocats vont revenir à la charge en appel pour dire qu’il faudrait que les tribunaux en aient un peu plus à dire sur l’utilisation de la dérogation. Et qu’ils doivent, au moins, statuer si l’objet de la loi contestée constitue un « objectif réel et urgent ».

Il n’est pas certain que la Cour suprême voudra revoir sa jurisprudence et il serait bien imprudent d’essayer de prédire sa réponse sur la question. Mais on peut être certain que le débat juridique va s’en aller dans cette direction.

Ce qui pose la question : est-ce qu’un seul cas en deux ans passe le test d’un « objectif réel et urgent » ? Est-ce que la loi 21 voulait régler un problème majeur et urgent ou n’est-ce pas plutôt une tentative assez transparente de se faire du capital politique ?

Le premier ministre François Legault ne s’aide certainement pas en répétant chaque fois qu’on lui en parle que la loi 21 est populaire. Sauf que les chartes des droits existent précisément pour protéger les minorités contre des lois injustes mais populaires pour la majorité. Un sondage, devant un tribunal, ça ne pèse pas très lourd.

Pendant ce temps, à Ottawa, il y a de plus en plus de pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il intervienne devant les tribunaux, ce qu’il fera sans doute quand la cause se rendra en Cour suprême.

Mais ce qui est certain, c’est que le débat juridique est loin d’être terminé et que de nouveaux intervenants et argumentaires vont s’ajouter au cours des prochains mois. Et ce ne seront pas nécessairement des rebondissements qui iront dans le sens que souhaite le gouvernement Legault.