Le dernier premier ministre canadien à obtenir un quatrième mandat fut Wilfrid Laurier en 1908. Justin Trudeau le sait. Même si M. Trudeau a fini par dire, mardi, qu’il veut mener son parti aux prochaines élections, il se pourrait bien qu’il agisse comme si ce mandat était son dernier.

Aussi s’est-il constitué un Conseil des ministres qu’on peut qualifier de plus militant que le précédent et qui va se mettre au travail rapidement. La situation minoritaire fait en sorte que plus le temps va passer, plus il sera difficile de faire des réformes significatives.

Dans les cinq grands chantiers qu’il a ciblés, M. Trudeau a placé des gens en qui il a confiance et qui seront probablement plus proches de ses propres penchants progressistes.

1) La sortie de la crise pandémique reste, bien sûr, la priorité du gouvernement. La crise a démontré que le gouvernement n’était peut-être pas une machine si lourde que ça et qu’elle pouvait se retourner rapidement.

C’est cette agilité que voudra conserver et utiliser Chrystia Freeland, qui est sans doute la ministre des Finances la plus puissante qu’on ait vue depuis longtemps. Mme Freeland a surtout démontré qu’elle pouvait livrer les programmes que M. Trudeau voulait en matière de soutien au revenu pendant la pandémie.

Elle sera là aussi pour les autres priorités du gouvernement puisque tout, finalement, passe un jour ou l’autre par le ministère des Finances. M. Trudeau a là une alliée indéfectible et qui peut aussi, le moment venu, prétendre à sa succession.

2) La question des changements climatiques, surtout avec la conférence de Glasgow qui s’ouvre ce week-end, sera une véritable priorité. Et la nomination de Steven Guilbeault comme ministre en titre de l’Environnement est très clairement un signe que le gouvernement Trudeau veut cesser de ne faire que de bons discours et commencer à afficher des résultats concrets.

Pour cela, la nomination d’un militant de la première heure sur la lutte contre les changements climatiques signifie que le gouvernement Trudeau entend aller plus vite et avoir des cibles de réduction des gaz à effet de serre plus ambitieuses.

Mais si M. Guilbeault est très connu au Québec, il l’est beaucoup moins dans le reste du pays, où on risque de voir son passé de militant de façon beaucoup moins favorable. Ce sera tout particulièrement difficile quand viendra le temps de discuter avec les provinces productrices de pétrole.

3) La réconciliation avec les Autochtones est une autre des priorités du gouvernement Trudeau, même si le premier ministre a démontré encore récemment qu’il lui arrivait d’être celui qui envoie les mauvais messages. La nomination de Marc Miller au portefeuille des relations entre la Couronne et les Autochtones signifie l’accélération des négociations, entre autres sur les enjeux territoriaux qu’on avait souvent tendance à remettre à plus tard.

Mais d’abord, il faudra assainir le climat au sein même de son ministère, qui est souvent paralysé par des conflits internes.

4) Le logement est en train de devenir un enjeu important dans toutes les grandes villes du Canada, et la nomination d’un ministre dont ce sera la responsabilité principale signale que le gouvernement fédéral comprend qu’il doit agir dans ce domaine – et pas seulement dans le cadre des programmes de logement social.

5) Enfin, le programme national de garderies à 10 $ est non seulement un engagement du Parti libéral aux dernières élections, mais c’est aussi une partie importante du legs que M. Trudeau aimerait associer à son mandat de premier ministre.

Les ministres de la Famille et des Affaires intergouvernementales vont donc devoir agir rapidement pour conclure des ententes avec les quelques provinces avec lesquelles ils n’en ont pas encore pour que des annonces plus concrètes puissent être faites dès le prochain budget.

Ce que la composition du Conseil des ministres fédéral signale aussi, c’est qu’on est prêt, à Ottawa, pour une véritable confrontation avec les provinces – et le Québec tout particulièrement – sur le financement de la santé.

M. Trudeau a eu toutes les chances de revenir sur sa position quant aux conditions qui seraient imposées aux provinces en échange de nouveaux transferts fédéraux en santé. Il a toujours refusé de le faire.

La nomination de Jean-Yves Duclos au ministère de la Santé place un Québécois en position de donner la réplique au gouvernement du Québec dans ce dossier où le gouvernement Legault n’a pas du tout l’intention de lâcher un pouce de sa compétence en santé.

M. Duclos est un ministre qui a pris goût aux débats politiques et qui sera certainement plus coriace que sa prédécesseure, Patty Hajdu. Mais le gouvernement fédéral aura bien du mal à être crédible en promettant plus de médecins et d’infirmières, quand on sait les problèmes de main-d’œuvre qui affectent les systèmes de santé – et pas seulement au Québec.