C’était il y a longtemps, quelques jours avant le déclenchement des élections. François Legault et Justin Trudeau concrétisaient une entente de 6 milliards de dollars pour les garderies. Une entente asymétrique et un transfert sans conditions.

C’était l’époque où les deux premiers ministres étaient à tu et à toi. L’entente sur les garderies était la dernière en date d’une série d’ententes Québec-Ottawa. Une série d’ententes dont M. Legault était si fier qu’il en a fait la liste exhaustive, mardi, lors de la reprise des travaux de l’Assemblée nationale.

En plus des 6 milliards pour les garderies, il y en a pour 1,8 milliard pour le logement, quatre ententes sur la formations de la main-d’œuvre, 460 millions pour l’internet à haute vitesse, 374 millions pour les demandeurs d’asile et 3 milliards pour la relance (économique) sécuritaire.

M. Legault était suffisamment fier de toutes ces ententes « asymétriques et sans conditions » pour les énumérer au long à l’Assemblée nationale. Puis, dans la phrase suivante, il répétait ce qui est son nouveau mantra depuis la semaine dernière, soit que les libéraux fédéraux, le NPD et les verts « menacent l’autonomie de la nation québécoise ».

C’est un revirement quand même spectaculaire quand on sait qu’il a passé tout le printemps à signer des ententes avec un gouvernement qui menacerait la nation québécoise. Pourquoi ?

Voici une tentative d’explication : l’échange qui a fait le plus de bruit au débat des chefs en français, la semaine dernière, était entre Yves-François Blanchet et Justin Trudeau, quand ce dernier a déclaré haut et fort qu’il était lui aussi un Québécois. « Vous ne m’accuserez pas de ne pas être un Québécois », avait lancé M. Trudeau.

M. Legault peut facilement y avoir vu un premier ministre fédéral qui pourrait donner son avis et participer au débat public sur certains dossiers québécois qui l’interpellent. Et M. Legault veut tout sauf ça.

Un exemple : le financement du troisième lien à Québec. Le gouvernement Legault s’attend à ce que le gouvernement fédéral finance 40 % des coûts du projet, ce qui pourrait être plus de 4 milliards de dollars.

Le chef conservateur, Erin O’Toole a déjà, promis la somme sans poser de questions. Mais le gouvernement Trudeau a laissé entendre – par la voix du président du Conseil du trésor, Jean-Yves Duclos – que la contribution fédérale pourrait se limiter à la partie du projet qui touche les transports en communs.

C’est précisément le genre d’intervention que détesterait M. Legault qui, on le sait déjà, déteste tout ce qui pourrait être un contre-pouvoir.

On pourrait prétendre, comme le fait le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, que le seul rôle du gouvernement fédéral est d’envoyer un chèque à la hauteur de ce que demanderait le gouvernement du Québec, au nom du respect des compétences exclusives du Québec.

Mais il y a toute une différence entre donner des transferts pour les responsabilités du Québec comme la santé et le financement de projets exceptionnels comme le troisième lien.

S’ingérer dans les compétences provinciales, ce serait exiger d’embaucher des infirmières et quel devrait être leur salaire. Mais le gouvernement fédéral n’est nullement obligé de financer tous les projets du gouvernement du Québec, surtout quand ils risquent d’avoir un coût pharaonique et que leur pertinence environnementale est douteuse.

Bref, le gouvernement fédéral ne peut pas et ne devrait pas être un simple guichet automatique.

Mais il y a une autre raison pour laquelle M. Legault a décidé de choisir Justin Trudeau comme tête de turc. C’est qu’après la campagne électorale fédérale, on entrera dans une année électorale au Québec. Et, comme le disait Brian Mulroney : « En politique, il est important d’avoir des amis, mais il est encore plus important d’avoir des ennemis ».

M. Legault sait lire les sondages et tout indique que M. Trudeau sera à la tête d’un gouvernement minoritaire après le scrutin du 20 septembre. Et il sait aussi que, dans l’électorat de la CAQ, M. Trudeau n’est pas le plus populaire et on peut facilement le dépeindre comme un centralisateur.

La prochaine année pourrait bien être difficile pour le gouvernement. La pandémie risque de céder la place à un système de santé toujours en crise, mais cette fois à cause de la pénurie de main-d’œuvre et des conditions de travail dans le réseau.

Et les finances publiques ont été éprouvées, entre autres par les dépenses liées à la pandémie, ce qui donne moins de marge de manœuvre au gouvernement.

On sent déjà, dans le discours de M. Legault, une tendance à se présenter comme le seul défenseur de la nation et de ses valeurs menacées par le gouvernement woke de Justin Trudeau.

Mercredi, M.Legault a testé la stratégie du woke sur Gabriel Nadeau-Dubois et il a semblé assez content de l’effet. Ça ne devrait pas être la dernière fois qu’on parle des woke à la CAQ.