On n’aurait pas dû en être surpris, c’est comme ça depuis le début. La semaine dernière, CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui construit le Réseau express métropolitain (REM), a finalement publié les études qu’elle a commandées et qui n’appuient pas nécessairement le discours que tient CDPQ Infra.

Pendant plus d’un an, CDPQ Infra, par la voix du responsable du projet du REM, Jean-Marc Arbaud a soutenu qu’il était « impossible » de revoir la partie la plus controversée de son projet du REM de l’Est, soit de le faire passer en hauteur sur le boulevard René-Lévesque entre la Place Ville Marie et le pont Jacques-Cartier.

C’est le même M. Arbaud qui a commencé le bal des… appelons ça poliment des « manques de transparence », dès 2016, alors qu’il affirmait aux audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le REM de l’Ouest que les passagers du train de banlieue de Deux-Montagnes n’avaient rien à craindre. Il assurait qu’on pourrait utiliser l’une des deux voies pour faire rouler les trains jusqu’à la gare Centrale aux heures de pointe.

On connaît la suite. Le service a totalement cessé à la fin de 2020, ce qui cause des retards et d’autres inconvénients majeurs aux anciens usagers de ce service. Le REM, lui, sera livré en retard, quelque part en 2024, selon le dernier échéancier.

La Caisse avait promis que le REM serait livré « dans les temps et dans les budgets ». On sait aujourd’hui qu’il ne sera pas livré dans les temps. Et même si CDPQ Infra refuse de chiffrer les dépassements de coûts, on sait qu’il y en aura, et les plus pessimistes parlent d’un coût final entre 7 et 9 milliards de dollars, alors qu’on parlait au départ de 6,3 milliards.

Mais revenons à la situation actuelle. CPDQ Infra a soutenu pendant plus d’un an que la construction d’un tunnel sous le boulevard René-Lévesque était impossible et qu’elle pourrait même causer l’effondrement d’édifices au centre-ville.

Or, les études rendues publiques la semaine dernière disent que construire un tunnel serait compliqué et coûteux, certes, mais que c’est réalisable et faisable. Et on ne parle plus d’effondrement, mais de « tassement ».

Ce qui est plus révélateur, c’est que CDPQ Infra avait reçu au moins l’une de ces études depuis plusieurs mois et que cela n’a pas fait changer la Caisse de discours avant la semaine dernière.

Pendant des mois, la version officielle était toujours l’impossibilité d’enfouir le REM et le danger d’effondrement des édifices du centre-ville.

Cela dit, on propose maintenant un tunnel de 500 mètres au centre-ville, de la Place Ville Marie au Complexe Desjardins, avec une tranchée ouverte sur environ 200 mètres puis une montée jusqu’à la station Saint-Urbain. Plus à l’est, les conditions du sous-sol de Montréal seraient si complexes que le tunnel, s’il n’est plus impossible, deviendrait « non viable ».

Non viable ou non rentable ? Ce qu’on sait, c’est qu’il y aurait un tunnel dans la partie riche et rentable du centre-ville, mais à l’est du Complexe Desjardins, là où l’immobilier est moins intéressant, on devra aller en hauteur. Beau débat de société en perspective.

Cela dit, il y a bien un scénario proposé et qui serait faisable, selon une des deux études, et qui impliquerait la construction d’un tunnel entre la Place Ville Marie et la rue Bercy, à l’est du pont Jacques-Cartier. Une option plus chère, mais qualifiée de « réalisable et sécuritaire ».

Sauf que les stations seraient enfouies à des profondeurs pouvant atteindre 38 mètres, ce qui réduirait leur attractivité pour les voyageurs, ce qui permet à CDPQ Infra de rejeter ce scénario.

Pourtant, le métro de Washington DC, au deuxième rang des plus utilisés aux États-Unis, a des stations jusqu’à 70 mètres sous la surface. La nouvelle ligne 9 du métro de Barcelone a des stations jusqu’à 90 mètres de profondeur. La station Édouard-Montpetit du REM, qui est déjà en construction, sera à 72 mètres.

En fait, ce n’est pas tant les contraintes techniques qui font que CDPQ Infra rejette pratiquement toutes les solutions qui coûteraient plus cher. C’est que cela met en péril le modèle d’affaires de la Caisse et ses exigences élevées de rentabilité.

Le modèle d’affaires du REM pour le REM de l’Ouest (le taux n’est pas fixé pour l’Est) prévoit une redevance de 72 cents par kilomètre parcouru par chaque passager.

Le REM a donc tout intérêt à ce que ses passagers passent le plus de kilomètres possible dans ses wagons plutôt que dans d’autres moyens de transport. D’où la nécessité d’amener ces passagers au centre-ville.

Si la priorité était de desservir l’est de Montréal en transport en commun, on pourrait songer à amener plus de passagers vers la ligne verte, du métro qui n’est toujours pas utilisée au maximum. Mais cela n’est pas dans le plan d’affaires.