C’est une tradition des campagnes électorales fédérales au Québec, le premier ministre écrit une lettre aux chefs des partis pour leur faire part des demandes du Québec. Mais celle qu’a envoyée François Legault cette année a un petit air de déjà vu puisque c’est essentiellement la même que celle qu’il avait envoyée en 2019.

Deux demandes essentielles ressortent du lot : une augmentation des transferts en santé et plus de contrôle sur l’immigration. Personne ne s’opposera à la première demande tant les besoins en santé sont importants. Mais une augmentation de 22 % à 35 % du total des dépenses n’a pas beaucoup de chances d’être acceptée par Ottawa – quel que soit le gouvernement – vu l’état des finances publiques.

M. Legault a également raison de ne pas vouloir de conditions attachées à ces transferts. M. Trudeau parle de nouveaux médecins, mais ne dit pas où il va les trouver. M. O’Toole veut dépenser en santé mentale, noble priorité, mais ce ne devrait pas être à lui de dicter. Sur ces questions, M. Legault ne trouvera pas beaucoup de gens pour s’y opposer au Québec.

Ce sera un peu différent en ce qui concerne l’immigration. Parce que M. Legault reprend une de ses vieilles lubies : le regroupement familial. Quand il était dans l’opposition, il dénonçait cette catégorie d’immigration comme un « bar ouvert » qui aurait permis de faire venir oncles, tantes, cousins et cousines à volonté. Il n’en est rien.

D’abord parce que la réunification familiale ne touche que les parents en ligne directe : conjoints, enfants ou parents. Il s’agit de moins de 10 000 immigrants chaque année, sur plus de 40 000. Dans plus de 70 % des cas, il s’agit de conjoints : une réunification toute naturelle qui tient plus de la compassion que de l’immigration.

En plus, les immigrants qui arrivent au Québec pour la réunification familiale sont le groupe qui a le plus tendance à rester au Québec à long terme. Et quand on vient au Québec pour s’y installer, on a de bien plus fortes chances de s’intégrer à la majorité.

Mais M. Legault estime que la connaissance préalable du français doit être une condition préalable à la réunification familiale. Il y voit même une « question de survie » pour la nation québécoise. Rien de moins. Rien de moins. Voilà qui est beaucoup de tapage pour la catégorie d’immigrants qui est sans doute la moins controversée et la mieux intégrée à terme.

Mais s’il y a une liste d’épicerie, encore faut-il trouver lequel des partis sera le plus apte à la remplir. Deux d’entre eux sont éliminés d’emblée par M. Legault comme étant trop centralisateurs : sans surprise, ce sont les libéraux et le Nouveau Parti démocratique.

Les conservateurs ont des atomes crochus avec la CAQ, mais M. O’Toole veut abandonner l’entente sur les garderies et le beau chèque de 6 milliards de dollars qui l’accompagne.

Il ne reste que le Bloc québécois. Mais c’est le seul parti que M. Legault n’a pas mentionné. Il a même a fait un détour pour dire qu’il était nationaliste et non souverainiste. Et de toute évidence, M. Legault ne cherche plus tellement un parti fédéral pour s’occuper de ses contentieux avec Ottawa ; il est plus que capable de s’en occuper lui-même.

M. Blanchet a pourtant tout fait pour se coller sur M. Legault, espérant que sa popularité aiderait le Bloc, comme en 2019.

M. Blanchet a même changé de facto la mission du Bloc à Ottawa. Sous Gilles Duceppe, le Bloc se définissait comme le parti qui allait « défendre les consensus de l’Assemblée nationale » à Ottawa. Sous M. Blanchet, c’est devenu, en pratique, la défense des positions du parti au pouvoir à Québec.

Mercredi, dans le dossier du troisième lien – qui est très loin de faire consensus au Québec et auquel le Parti québécois, l’ancien parti frère du Bloc, s’oppose carrément – M. Blanchet affirmait : « La position du Bloc, c’est de dire à Ottawa : “Mêle-toi de tes affaires, fais ton chèque.” C’est une [compétence] exclusive de Québec qui demande 40 % à Ottawa. Ottawa doit donner 40 %. »

Il y a là quelque chose d’étonnant quand on pense que l’un des rôles essentiels d’un député et du Parlement tout entier est de s’occuper de la bonne gestion des fonds publics.

Si le gouvernement du Québec veut se lancer dans un ouvrage pharaonique comme le troisième lien, il ne saurait y avoir une obligation du gouvernement fédéral de lui envoyer un chèque sans poser de questions. C’est pourtant ce que dit M. Blanchet.

Voilà qui équivaudrait à transformer le gouvernement fédéral en simple guichet automatique. Sauf que le Québec ne serait pas le seul client à posséder la carte qui permettrait d’y faire des retraits.