Poursuites judiciaires, retards à répétition, démissions fracassantes : si la réforme visant à réduire le prix des médicaments au Canada était un film d’action, on pourrait dire que le scénariste nous en donne pour notre argent.

De tels rebondissements seraient divertissants s’ils ne touchaient pas un enjeu si crucial : l’accès pour les Canadiens à des médicaments à prix raisonnables.

Aujourd’hui, après six ans d’une interminable saga, le gouvernement Trudeau doit livrer à la population ce qu’il lui a promis : des baisses réelles et substantielles de prix.

Mais il doit aussi tirer des leçons du fiasco auquel nous assistons. Une réflexion en profondeur s’impose.

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Revenons en arrière. En 2017, le gouvernement Trudeau constate que les Canadiens paient leurs médicaments beaucoup trop cher. Sur la planète, seuls les Américains et les Suisses paient davantage.

Il promet donc une réforme et des économies de 13 milliards sur une décennie.

C’est le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme fédéral chargé de fixer des prix plafonds pour les médicaments, qui pilote le dossier.

Le CEPMB accouche d’une réforme. Mais celle-ci est torpillée en justice à la fois par l’industrie et par Québec, qui y voit un empiétement sur ses champs de compétences. Des pans entiers de la réforme tombent. Les économies promises chutent à 3 milliards.

La réforme ainsi charcutée doit entrer en vigueur en juillet 2020. Mais invoquant la pandémie, le fédéral recule et la reporte de six mois. À l’époque, personne n’est dupe. Le fédéral n’ose pas se mettre les entreprises pharmaceutiques à dos au moment où il se bat pour obtenir des vaccins contre la COVID-19.

Six mois plus tard, le gouvernement Trudeau annonce un nouveau report de six mois. Puis un autre. Et un autre encore. Si vous calculez bien, ça fait deux ans de retard.

En juillet dernier, la réforme entre enfin en vigueur. Fin de l’histoire ? Que non ! Il faut élaborer des lignes directrices pour l’articuler. Et celles-ci mettent le feu aux poudres.

L’industrie se braque et des dissensions apparaissent au sein même du CEPMB. En décembre dernier, sa présidente par intérim, Mélanie Bourassa Forcier, claque la porte.

L’un des trois autres membres du Conseil, Matthew Herder, démissionne lui aussi. Puis c’est au tour du directeur général.

De l’action, vous dites ?

Fait étonnant, les deux démissionnaires du CEPMB qui ont expliqué leur geste avancent des raisons diamétralement opposées.

Matthew Herder accuse essentiellement le gouvernement d’avoir cédé aux pressions de l’industrie pharmaceutique et de ne pas avoir soutenu la réforme1.

Mélanie Bourassa Forcier affirme au contraire que le CEPMB n’a pas respecté son obligation de consulter les « parties prenantes », dont l’industrie. Elle dénonce un « dialogue de sourds »2.

Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, nous dit plancher pour remplacer les membres démissionnaires du CEPMB et pour que la réforme aille de l’avant.

Fort bien. Il faut effectivement faire aboutir cette foutue réforme une fois pour toutes.

Mais on ne peut pas non plus faire semblant que le processus est un long fleuve tranquille et simplement pourvoir les postes vacants en sifflotant. La réflexion doit aller beaucoup plus loin.

La saga actuelle montre à quel point il est difficile de composer avec l’industrie pharmaceutique. Face à la perspective des baisses de prix, celle-ci a carrément menacé de priver les Canadiens de certains médicaments. C’est un chantage odieux.

La question est de savoir comment y répondre.

Le gouvernement doit voir s’il se range derrière l’approche de Matthew Herder, qui plaide qu’il faut tenir tête à Big Pharma avec plus de conviction.

Ou alors s’il adopte celle prônée par Mélanie Bourassa Forcier. Dans sa lettre de démission, celle-ci affirme qu’on n’obtiendra rien par la confrontation directe. Elle plaide que le prix des médicaments, leur accès et les investissements en recherche faits par les entreprises pharmaceutiques sont des enjeux liés qui devraient être abordés ensemble.

L’idée n’est surtout pas de céder au lobbying des pharmaceutiques, d’autant plus qu’on sait ce que leurs promesses valent. Dans les années 1980, l’industrie avait promis d’investir 10 % de ses revenus en recherche au Canada contre un régime de brevets favorables. Il y a longtemps qu’elle ne respecte plus sa part de l’engagement.

Mais il faut examiner sérieusement si, comme le prétend Mme Bourassa Forcier, on peut obtenir plus de l’industrie – et avec des engagements contraignants, cette fois – grâce à une approche plus collaborative.

Le fiasco actuel nous force en tout cas à brasser le statu quo. On doit même se demander si le CEPMB, qui vient pratiquement d’imploser sous nos yeux, est la bonne structure pour tirer le maximum de bénéfices de la part des entreprises pharmaceutiques. Le mandat de cet organisme se limite essentiellement à fixer des prix plafonds pour les médicaments.

Chose certaine, le mal qui ronge la refonte des prix des médicaments ne se réglera pas avec une petite pilule. L’heure est venue de recourir aux grands remèdes.

1. Lisez la lettre de Matthew Herder (en anglais) 2. Lisez la lettre de Mélanie Bourassa Forcier