Noah Champigny a été marqué au fer rouge par la journée du 2 mars 2023.

Le garçon de 14 ans, passionné de sport, tombe à skis lors d’une sortie en famille et se blesse à un genou. La chute semble anodine, mais la douleur est horrible.

Le diagnostic aux urgences du Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke (CHUS) tombe comme un coup de massue : déchirure du ligament croisé antérieur.

L’adolescent, inscrit en sports-études option football, comprend que les camps de sélection prévus au printemps sont désormais hors de sa portée.

Un rendez-vous avec un chirurgien orthopédiste de l’établissement quelques mois plus tard confirme que l’impact de l’accident sur ses rêves est potentiellement encore plus important.

En considérant le temps d’attente pour l’opération, estimé à 13 mois par le médecin du CHUS, et le temps de réadaptation de 9 mois, c’est la fin de sa carrière de footballeur au secondaire qui se profile.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Amélie Lévesque-Côté, mère de Noah

Noah est un sportif. Si tu lui enlèves ça, tu lui enlèves tout.

Amélie Lévesque-Côté, mère de Noah

La mère du jeune homme appréhende alors le pire sur le plan psychologique.

Plutôt que de se résigner à le retirer du programme sports-études et à le couper de ses amis, la famille songe à se tourner vers le secteur privé et obtient le nom d’un chirurgien montréalais réputé, le DThierry Pauyo.

En visioconférence, le spécialiste se fait rassurant. Il pourra réaliser l’intervention durant l’été en clinique privée en facturant près de 13 000 $ à la famille, ce qui permettra à Noah de retrouver les terrains de football pour l’automne 2024.

Le médecin, qui pratique aussi des opérations sans frais pour les patients à l’hôpital Shriners pour enfants, note que sa liste d’attente dans le public est de près d’un an, ce qui ne règle pas le problème du jeune Noah.

Même si le jeune sportif lui-même trouve le coût prohibitif et que ses parents rechignent à faire appel au privé, l’option est alors sérieusement envisagée. « C’était notre fils ou nos valeurs », note Amélie Lévesque-Côté.

Un dénouement inattendu

Par un coup de chance, ils découvrent avant d’aller plus loin qu’il est possible de faire opérer Noah à l’hôpital Shriners par un autre médecin, sans avoir à débourser un sou, dans un délai presque aussi court.

Le DPauyo, relève Amélie Lévesque-Côté, n’a pas mentionné qu’il pratiquait au Shriners et que des collègues de l’établissement étaient susceptibles de prendre en charge son fils rapidement.

« Je ne comprends pas que des chirurgiens accaparent des patients comme ça », dit-elle.

Malgré nos demandes répétées, il n’a pas été possible pour La Presse d’obtenir une entrevue téléphonique avec le médecin, qui souligne, dans le courriel envoyé à de futurs clients, avoir opéré nombre d’athlètes de haut niveau, dont des joueurs du Canadien de Montréal.

La direction de l’hôpital, qui a appelé Mme Lévesque-Côté pour l’interroger après avoir été avisée par notre appel de la situation, a assuré dans un courriel que la famille était « élogieuse » de la manière dont le DPauyo avait présenté ses services privés.

Le directeur des services professionnels, le DJacques Nadeau, n’a cependant pas voulu se prononcer à savoir si le médecin avait erré en ne suggérant pas à la famille de s’adresser directement au Shriners pour voir quelles étaient les autres options possibles.

Une porte-parole de l’établissement a ajouté par la suite que l’échange survenu entre le médecin et Mme Lévesque-Côté était « privé » et ne relevait pas de l’hôpital.

Le Collège des médecins du Québec souligne que les médecins qui partagent leur temps entre pratiques publique et privée doivent faire preuve d’une transparence totale avec leurs patients relativement aux scénarios d’opération possibles et éviter de faire du « dirigisme » pour favoriser leurs services privés.

L’existence de ce type d’aller-retour ne sera pas la seule surprise de la famille Côté-Lévesque.

Ils découvrent notamment qu’un autre joueur blessé de l’équipe de Noah n’a eu à attendre que quelques mois avant de subir une intervention similaire dans un établissement public à Cowansville.

Le conjoint de Mme Lévesque-Côté, Mathieu Champigny, apprend par ailleurs qu’une connaissance travaillant dans le milieu de la santé a obtenu une opération pour une blessure similaire en un mois seulement.

Comment suis-je censée savoir qu’il y a d’autres établissements dans la région susceptibles de l’opérer plus rapidement ? Je dois appeler chaque hôpital ?

Amélie Lévesque-Côté, mère de Noah

Même si Noah a finalement pu être opéré sans frais en juillet par un autre médecin du Shriners et a entrepris sa période de réadaptation, l’éducatrice spécialisée en veut au système de la santé d’avoir cherché à l’« abandonner » sur une liste d’attente.

Elle pense que les jeunes sportifs qui risquent d’être durement affectés psychologiquement par une longue attente devraient pouvoir être opérés plus rapidement.

« Ça prend une voie pour ces enfants-là qu’on pousse à faire du sport. Leur dire de rester chez eux à ne rien faire quand ils sont blessés, ça n’a pas de sens », dit Mme Lévesque-Côté, qui s’est vu offrir une place pour une opération en septembre au CHUS une fois l’intervention pratiquée.

« Je n’ai aucune idée pourquoi c’est soudainement devenu possible à brève échéance de leur côté », dit-elle.

Un scénario qui se répète

Dominique Beaupré, une cousine de Mme Lévesque-Côté, a vécu quasiment le même scénario avec son fils depuis le début de l’année.

Son fils Mathis, qui fait de l’athlétisme de compétition, s’est aussi blessé grièvement au genou lors d’une journée de ski durant l’hiver. Il a dû patienter plusieurs mois pour subir un examen d’imagerie médicale et voir un médecin spécialiste au CHUS avant de se faire dire qu’il lui faudrait deux ans avant de reprendre le sport.

« Laisser un enfant inactif pendant deux ans, c’est énorme. Mathis s’est d’ailleurs reblessé accidentellement trois fois depuis », souligne Mme Beaupré.

Elle aussi a contacté le DPauyo pour voir s’il était possible de se faire opérer plus rapidement au privé avant de découvrir qu’elle pouvait placer son fils sur la liste d’attente du Shriners en suivant l’exemple de sa cousine.

« Nous étions prêts à hypothéquer notre maison pour procéder au privé », relève la résidante de Sherbrooke, qui aurait aimé se faire expliquer d’emblée la gamme des options plutôt que d’avoir à remuer ciel et terre pour trouver une avenue viable et gratuite.

Mme Beaupré a aussi reçu il y a quelques semaines un appel du CHUS, qui dit maintenant pouvoir opérer Mathis au début du mois de septembre, un développement qui la ravit.