L’expérience des familles de Noah et de Mathis montre comment le processus de gestion des listes d’attente en chirurgie est complexe et souvent opaque. Une situation que le manque de ressources opératoires explique au moins en partie. Or, un changement d’approche n’est pas hors de portée.

La présidente de l’Association orthopédique du Québec, la Dre Véronique Godbout, note que les chirurgiens fixent normalement un délai opératoire cible pour les patients en fonction de la gravité de leur pathologie et de son impact sur leurs capacités, ce qui détermine où ils sont placés sur la liste d’attente.

Durant la pandémie de COVID-19, les interventions non urgentes comme celles qui sont souvent requises en chirurgie orthopédique ont « pris le bord » et on a privilégié les cas de cancer et les interventions urgentes de natures diverses, souligne la spécialiste.

Une partie des interventions orthopédiques réalisables en chirurgie d’un jour ont pu être prises en charge, notamment au moyen d’accords avec des cliniques médicales spécialisées, mais de nombreux cas plus lourds ont été retardés.

La Dre Godbout pense qu’un système de classification existant, qui évalue notamment l’impact de la pathologie du patient sur sa mobilité, sa capacité de maintenir ses activités usuelles, le niveau de douleur ressenti et les risques d’affection psychologique, devrait être systématiquement considéré pour tous les types d’interventions de manière à raffiner l’analyse des dossiers et l’établissement des cas prioritaires.

Une telle approche permettrait de faire opérer plus rapidement des jeunes comme Noah Champigny, souligne la spécialiste, qui insiste sur la complexité des facteurs expliquant la longueur des listes d’attente et leur gestion.

Le manque de personnel et de ressources matérielles vient normalement peser sur le temps opératoire disponible.

La popularité des chirurgiens et la priorité qui leur est donnée, ou pas, pour opérer influent aussi sur la longueur des listes d’attente dans le système public qui, en temps normal, leur sont associées individuellement.

Un système, deux vitesses

Certains chirurgiens cherchent à contourner le problème en pratiquant à temps plein dans le privé ou interrompent pour une durée limitée leur participation au régime d’assurance maladie du Québec de manière à pouvoir offrir à des patients d’être opérés plus rapidement contre argent sonnant.

Martha Jackman, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, note que des temps d’attente trop importants dans le système public ouvrent en théorie la porte à des contestations judiciaires.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le DJacques Chaoulli, en 2007

Dans une cause lancée par le DJacques Chaoulli qui avait fait grand bruit, la Cour suprême a statué il y a 20 ans que des délais déraisonnables en chirurgie orthopédique pouvaient représenter une atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne prévus à la Charte des droits et libertés. Et que cela pouvait justifier au Québec la levée des restrictions empêchant un individu de s’assurer au privé pour obtenir, contre argent sonnant, des services normalement assurés par le système public.

Le gouvernement québécois de l’époque, plutôt que de lever tous azimuts les restrictions en matière d’assurance, avait annoncé une série de mesures pour réduire les listes d’attente en chirurgie, notamment des partenariats avec des cliniques spécialisées pour quelques interventions bien définies.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui pilote un projet de loi visant à rendre le système de santé plus efficace, a annoncé récemment un plan de rattrapage pour faire fondre les listes d’attente post-pandémie. Elles comptaient plus de 155 000 personnes fin mai, incluant près de 40 000 en soins orthopédiques.

Le gouvernement entend faire passer de 14 500 à 2500 d’ici décembre 2024 le nombre de patients en attente d’une opération depuis plus d’un an et compte investir pour ce faire près de 400 millions de dollars afin de payer notamment les heures supplémentaires du personnel requis.

Les cliniques privées spécialisées seront encore une fois appelées à contribuer à l’effort.

Un médecin opérant une clinique privée en Colombie-Britannique a tenté d’évoquer le précédent juridique créé par l’affaire Chaoulli pour faire lever les restrictions en matière d’assurance dans sa province et multiplier les interventions dans le privé, mais il a finalement été débouté au printemps après une longue bataille.

Les patients qui font face à des « situations irrationnelles » devraient être en mesure de les dénoncer efficacement sans passer par les tribunaux, souligne Mme Jackman, qui déplore une reddition de comptes déficiente des réseaux en place, au Québec et ailleurs au pays.