La pandémie de COVID-19 a entraîné le report de dizaines de milliers d’opérations chirurgicales, ce qui a forcé nombre de Québécois à prendre littéralement leur mal en patience. Or, la tempête a aussi forcé les autorités sanitaires à réfléchir à la manière de gérer les listes d’attente pour optimiser l’utilisation des ressources opératoires disponibles.

Marie-Eve Bouthillier, une éthicienne rattachée au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval qui faisait partie d’un comité d’experts formé par le gouvernement pour travailler sur la crise, note que les chirurgiens gèrent normalement leur propre liste et accèdent au bloc opératoire en fonction de privilèges parfois établis de longue date.

Dans le cadre de la pandémie, les établissements ont été amenés à se doter de comités de priorisation en chirurgie en vue de regrouper les listes d’attente existantes par spécialité et de les fondre ensemble, toutes spécialités confondues, pour former ultimement une liste régionale unique regroupant tous les patients en attente d’une intervention.

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Marie-Eve Bouthillier, éthicienne rattachée au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval

Avoir une seule liste, c’était une révolution en soi.

Marie-Eve Bouthillier, éthicienne rattachée au CISSS de Laval

La priorité était donnée aux patients qui avaient besoin d’une intervention urgente pour survivre ou éviter une perte d’organe.

La date limite fixée par le médecin pour l’intervention, l’importance du temps opératoire et des ressources requises pour la réaliser ainsi que la vitesse de récupération prévisible du patient servaient ensuite de référence.

Dans un contexte clinique normal, ce sont les patients les plus malades qui sont pris en charge d’abord, ce qui mobilise une somme considérable de ressources, dit Mme Bouthillier. Durant une pandémie, on traite plutôt les patients qui « ont le plus de chances d’être sauvés » avec le moins de ressources possible.

La Dre Martine Montigny, cardiologue rattachée à la direction des services professionnels du CISSS de Laval, note que la pandémie a permis de montrer l’intérêt d’une approche plus centralisée.

Le déséquilibre entre les moyens et les besoins était si important [durant la pandémie] que nous avons été obligés de faire des choix.

La Dre Martine Montigny, cardiologue rattachée à la direction des services professionnels du CISSS de Laval

Dans une récente analyse produite avec deux collègues, la Dre Montigny plaide pour le développement d’un plateau technique central par région pour gérer les opérations chirurgicales.

La classification devrait tenir compte des besoins cliniques de l’ensemble des patients ainsi que des considérations de qualité de vie et d’intégration sociale et être ajustée de manière à réserver une place plus importante aux opérations non urgentes (aussi appelées chirurgies électives), y compris en orthopédie.

Des critères à établir

Mme Bouthillier pense qu’il est nécessaire, dans un contexte postpandémique, de réfléchir collectivement aux critères pouvant servir à établir les interventions prioritaires.

L’éthicienne et ses collègues ont pu apprécier la complexité de l’exercice lors de la crise en élaborant un protocole de triage qui devait permettre de déterminer quel patient aurait accès aux soins intensifs en cas de débordement majeur.

Bien que le protocole n’ait finalement pas été appliqué, ce type d’exercice « a marqué les esprits » au Québec et ailleurs, note Mme Bouthillier.

Le premier critère retenu, dit-elle, était l’espérance de vie à un an.

En cas d’égalité, « le cycle de vie » entrait en ligne de compte. Entre deux patients issus de générations différentes, avec un écart d’âge de 25 ans ou plus, le plus jeune devait être favorisé.

Les concepteurs du protocole avaient l’intuition, dit-elle, que ce critère d’« équité générationnelle » serait en phase avec les valeurs de la population et du personnel traitant.

En cas d’égalité, la priorité devait ensuite être donnée aux membres du personnel médical en reconnaissance pour le risque soulevé par leur travail et en raison de leur importance pour faire fonctionner le système de santé.

Le hasard, finalement, avait été identifié comme l’ultime façon de départager les patients, relève Mme Bouthillier, qui dit avoir eu des « sueurs froides » à l’idée que le protocole doive ultimement être appliqué.