Les objectifs de décarbonation de l’industrie aérospatiale passent par une réduction considérable du recours aux combustibles fossiles. Loin d’être une utopie, l’utilisation de carburants alternatifs durables est déjà une réalité. Tour d’horizon avec Jean Paquin, président de SAF+Consortium, et Hany Moustapha, professeur à l’École de technologie supérieure (ETS).

Qu’est-ce que le SAF ?

Hany Moustapha : Le SAF, pour sustainable aviation fuel en anglais, désigne différents carburants produits de deux façons. Le bioSAF recycle des matières biologiques, comme de l’huile de cuisine, des graisses, des biodéchets ou de la biomasse. C’est le plus produit actuellement. Il permet de diminuer les émissions de carbone de 60 à 80 %.

Jean Paquin : L’autre façon de faire est de mélanger de l’hydrogène vert avec du carbone capturé dans les cheminées des usines des grands industriels. Cette deuxième possibilité, l’eSAF, est celle développée par SAF+Consortium dans l’est de Montréal et quelques autres acteurs dans le monde. Notre procédé permet de réduire de 92 % l’empreinte carbone dans notre carburant.

Peut-on utiliser le SAF directement dans les avions ?

Jean Paquin : Oui, on l’utilise avec les moteurs existants, sans changement. Le SAF est mélangé avec du kérosène traditionnel. Ce mélange est réalisé avant d’être directement versé dans les réservoirs des avions. Pour l’heure, la réglementation ne permet pas de mettre plus de 50 % de SAF dans le mélange avec le kérosène. Dans les faits, on met seulement quelques pour cent de SAF. Mais nous travaillons sur des projets de réacteurs alimentés à 100 % en eSAF.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Paquin, président de SAF+Consortium

Ces carburants coûtent-ils plus cher ?

Jean Paquin : L’eSAF coûte de trois à cinq fois plus cher que le kérosène traditionnel [le bioSAF coûte deux fois le prix du kérosène]. Le coût total sur les opérations des compagnies aériennes reste faible, puisque la proportion de SAF est faible. Par contre, le SAF n’est pas soumis aux aléas du prix du pétrole, ce qui offre de la stabilité et de la visibilité aux compagnies aériennes.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Hany Moustapha est professeur à l’École de technologie supérieure de Montréal et directeur du Réseau SDG Innovation.

Quand ces nouveaux carburants seront-ils utilisés ?

Hany Moustapha : Ils sont déjà utilisés chaque jour par les grandes compagnies aériennes. Des aéroports à Amsterdam, à Paris, à New York ou encore à Los Angeles sont équipés pour distribuer ce genre de carburant.

Jean Paquin : Pour notre part, SAF+Consortium vient de signer un protocole d’accord avec le groupe Air France-KLM, qui assure à la compagnie aérienne de pouvoir être approvisionnée en eSAF d’ici 2030. Et nous avons aussi une entente avec Air Transat.

Pourquoi les compagnies aériennes acceptent-elles de payer pour un carburant plus coûteux ?

Hany Moustapha : C’est évidemment dans le but de lutter contre les changements climatiques. En octobre 2022, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a fixé des objectifs contraignants aux compagnies aériennes afin de parvenir à zéro émission nette de carbone en 2050. Même si le transport aérien ne représente que quelques pour cent des émissions mondiales de carbone, puisqu’il est appelé à croître, sa part pourrait augmenter de façon importante au fur et à mesure que d’autres secteurs feront les efforts nécessaires pour se décarboner. Cela met une pression importante sur les compagnies aériennes pour réduire leurs émissions nettes de carbone. D’autres solutions existent, comme l’hydrogène, mais il faudrait changer les moteurs. Et la pertinence des moteurs électriques s’arrête au transport de 20 à 30 passagers, pas plus.