Le virage environnemental est un défi pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du secteur aérospatial québécois. Tant du point de vue de la formation que de l’innovation, en passant par la collaboration entre les acteurs, c’est aussi l’occasion pour l’écosystème d’ici de démontrer ses forces pour rester positionné par les principales grappes aérospatiales mondiales.

La décarbonation de l’industrie aérospatiale ne peut pas uniquement viser la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre le décollage et l’atterrissage des avions. C’est sur l’ensemble du cycle de vie des aéronefs que le secteur doit mener ses efforts pour atteindre des objectifs aussi ambitieux que la carboneutralité en 2050.

« Le virage vert est un défi pour la capacité d’innover de l’aérospatiale québécoise, pas seulement pour fabriquer un produit, mais pour concevoir de nouvelles machines et pour utiliser autrement les matériaux », pointe Mélanie Lussier, PDG d’Aéro Montréal.

Pour cela, l’industrie québécoise devra pousser encore plus loin ce qui fait sa grande force : la capacité à faire collaborer l’ensemble de ses acteurs, à savoir les entreprises, les écoles, les universités et les chercheurs.

Plus que jamais, les chefs de file du secteur sont appelés à jouer leur rôle. « Les entreprises les plus en avance ont à cœur que leurs chaînes d’approvisionnement les supportent », souligne Mélanie Lussier. Mais les entreprises plus petites ne sont pas en reste.

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Mélanie Lussier, PDG d’Aéro Montréal

Les PME souhaitent faire leur part. C’est rassurant de voir que tout le monde se sent concerné.

Mélanie Lussier, PDG d’Aéro Montréal

Parmi elles, Optima Aéro mise sur la réutilisation des pièces et des moteurs d’hélicoptères. L’aventure a commencé il y a 13 ans quand Toby Gauld, président et fondateur d’Optima Aéro, a commencé par racheter des moteurs en fin de vie, pour les démanteler et réparer les pièces détachées en vue de les réintroduire sur le marché.

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Optima Aéro mise sur la réutilisation des pièces et des moteurs d’hélicoptères.

La réutilisation évite les émissions de carbone causées par la production de pièces neuves, depuis l’extraction de minerais jusqu’à la livraison des pièces. La réutilisation d’une pièce d’hélicoptère évite 646 fois son poids en émissions de carbone, indiquent des données fournies par l’entreprise. C’est plus du double quand un moteur est recyclé au complet.

Optima Aéro connaît une croissance moyenne de 40 % par an, pour des revenus annuels de 30 millions de dollars. L’entreprise de 37 employés démantèle chaque année de 20 à 25 hélicoptères complets, pour en retirer des pièces qui seront réutilisées sur d’autres aéronefs.

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Toby Gauld, président et fondateur d’Optima Aéro

Le marché voit la pertinence économique de réutiliser des pièces.

Toby Gauld, président et fondateur d’Optima Aéro

L’an passé, la firme en activité à Belœil a ouvert un site à Anglet, dans le sud-ouest de la France, tout près d’Airbus, le premier constructeur d’hélicoptères civils au monde. Depuis deux mois, un autre site est en exploitation au Texas, près de Dallas, « le centre mondial de l’hélicoptère », se félicite Toby Gauld.

Un certificat en décarbonation

En plus des entreprises, les écoles et les universités ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir le secteur aérospatial québécois.

L’Institut Concordia en conception aérospatiale et en innovation (CIADI) lance cet automne un certificat en décarbonation de l’aérospatiale à l’Université Concordia. Cette formation s’adresse aux ingénieurs et aux professionnels de l’industrie, qui découvriront les plus récentes connaissances en matière de durabilité, de carburants et de leur impact, d’hydrogène et de stockage d’énergie.

Ce programme qui débutera le 3 novembre est totalement nouveau. « Nous sommes les premiers à proposer ce type de programme », se félicite Carole El Ayoubi, directrice du CIADI et enseignante au département de génie mécanique, industriel et aérospatial de l’Université Concordia. « Nous savons que des lacunes existent dans les compétences et les connaissances. […] Même des diplômés récents aimeraient en savoir davantage sur ce sujet. » C’est que les sujets multidisciplinaires comme la décarbonation sont encore peu évoqués dans les formations initiales, dont les programmes pédagogiques mettent du temps à évoluer.

Pour coller aux besoins de l’industrie, le contenu de la formation est élaboré au sein d’un comité composé de professionnels issus des plus grandes firmes aérospatiales, telles qu’Airbus, Pratt & Whitney Canada, Bell Textron Canada, Bombardier, CAE ou encore Siemens.

Ce genre d’initiatives pourrait prendre encore davantage d’ampleur avec le projet de zone d’innovation en aérospatiale, destiné à développer l’industrie de l’aérospatiale de demain en se basant sur la décarbonation et l’autonomie. « Ces deux thématiques vont nous faire gagner, nous en sommes convaincus, affirme Mélanie Lussier. C’est nécessaire pour conserver notre place sur l’échiquier mondial. »

La grappe aérospatiale souhaite déployer cette zone d’innovation à Longueuil, Saint-Laurent et Mirabel. Aéro Montréal espère une désignation fin 2023 ou début 2024. « Il s’agit de l’étape ultime de maturité de l’industrie : on travaille ensemble depuis des années, mais on veut incarner ce travail commun dans des lieux physiques pour l’accélérer », soutient Mme Lussier.