De plus en plus de Québécois ont recours aux antidépresseurs pour tenir le coup. C'est un peu... déprimant. Il est temps de se payer une thérapie collective et de commencer à en parler.

Les derniers chiffres fournis à notre demande par la Régie de l'assurance maladie du Québec confirment une tendance lourde : la consommation d'antidépresseurs est en plein boom au Québec.

Depuis 2011, le nombre d'ordonnances remboursées par le régime public a explosé de 44%. Le nombre de patients touchés, lui, a grimpé de 27%.

Non seulement les chiffres augmentent systématiquement chaque année, mais la croissance s'accélère. Les hausses sont plus fortes chez les 19 ans et moins et les 65 ans et plus. Bon an mal an, deux fois plus de femmes que d'hommes se font prescrire ces médicaments.

Pendant que nos médias et nos dirigeants surveillent la croissance du PIB ou le taux d'obésité de la population, ce témoin qui clignote depuis des années sur notre tableau de bord collectif ne reçoit pas l'attention qu'il mérite. Il est temps de le considérer comme un enjeu de santé publique. La dépression et l'anxiété contre lesquelles luttent les antidépresseurs entraînent des coûts directs (près de 100 millions de dollars en remboursements de médicaments par la RAMQ l'an dernier) et indirects (absentéisme au travail, répercussions sur l'entourage des personnes atteintes) colossaux. Surtout, elles touchent directement à notre santé mentale et à notre bonheur. Qu'y a-t-il, au fond, de plus important?

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Les antidépresseurs guérissent des maladies. En soi, ils ne sont donc pas un problème, mais une solution. Le hic, c'est qu'on ignore exactement pourquoi nous en avalons de plus en plus. La première étape est donc de mieux documenter le phénomène.

Il est possible qu'une partie de la hausse s'explique par le fait qu'on parle davantage de maladie mentale et que les gens soient plus enclins à consulter. Si on attrape plus de cas, il faut s'en réjouir.

Mais les experts et médecins qui côtoient les patients estiment que si les Québécois consomment plus d'antidépresseurs, c'est aussi parce qu'ils sont de plus en plus anxieux et déprimés. Et ça, c'est troublant.

Karine Igartua, présidente de l'Association des médecins psychiatres du Québec, dresse une liste de coupables qui ne surprendra personne : les courriels et textos qui nous tiennent constamment en alerte, les réseaux sociaux qui nous demandent de polir notre image et d'entretenir nos relations même pendant nos temps libres, le temps de sommeil qu'on gruge en le compensant par la caféine.

«On n'a plus de bouton off», résume la spécialiste.

Un autre facteur doit être pris en considération : le système québécois incite les patients à croquer des pilules plutôt que de suivre des psychothérapies. Les faits montrent pourtant que celles-ci sont aussi efficaces que les antidépresseurs pour traiter les troubles modérés, qu'elles s'avèrent souvent moins coûteuses et conduisent à moins de rechutes.

Le problème découle du fait qu'à peine le tiers des psychologues québécois pratiquent dans le secteur public. Même si la RAMQ rembourse ces thérapies, les assurés du régime public doivent souvent attendre «plusieurs mois, voire des années», avant de voir un psychologue, rapportait l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux dans un rapport publié en 2015. L'organisme recommandait d'améliorer l'accès aux psychologues pour ceux qui ne possèdent pas d'assurance privée. Les hausses récentes de la consommation d'antidépresseurs rendent ces mesures encore plus impératives.

S'attaquer à la hausse des cas de dépression et de troubles anxieux est un défi plus complexe. Il n'y a pas de solution simple et personne en particulier à blâmer, mais ce n'est pas une raison pour ne pas aller au fond du problème. Le fait qu'il touche particulièrement les jeunes rend cet exercice collectif encore plus nécessaire.

Les Canadiens champions des antidépresseurs

Des données qui datent de 2013 montrent que la consommation d'antidépresseurs par habitant au Canada est l'une des plus élevées des 28 pays de l'OCDE. Aux dernières nouvelles, le Québec s'inscrivait très légèrement sous la moyenne canadienne, mais les chiffres datent de 2012 et avaient été récoltés par sondage, ce qui montre la nécessité de mieux cerner le phénomène.

Dose quotidienne d'antidépresseurs par 1000 habitants :

Islande : 110

Australie : 96

Portugal : 88

Canada : 85

Suède : 84

Moyenne de l'OCDE : 58

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