Prenez, utilisez, ceci est une colonne vertébrale, livrée pour vous.

Voilà le message de la Cour fédérale à Québec et à Ottawa : vous avez de bonnes lois pour protéger l'environnement, et vous pouvez les utiliser! Même si cela implique de bloquer un développement immobilier. Et même si c'est pour protéger une minuscule grenouille de 1 gramme.

L'argent n'a pas tous les droits. La biodiversité aussi en a - elle a même une valeur intrinsèque, reconnue entre autres par la Convention internationale de Rio de 1992.

À la fin du mois de juin, le juge René Leblanc a confirmé que le fédéral était dans son droit en bloquant le projet immobilier de Groupe Maison Candiac afin de protéger la rainette faux-grillon, une espèce menacée. Le juge conclut que le décret d'urgence d'Ottawa n'empiétait pas sur les compétences du Québec, et qu'il ne s'agissait pas non plus d'expropriation sans indemnisation.

Pour le gouvernement Couillard, c'est humiliant. Québec s'obstinait à ne rien faire, et s'accommodait très bien de la passivité complice des conservateurs de Stephen Harper. Les deux ne voulaient pas freiner un projet de plusieurs millions, surtout pas pour un risible batracien. À première vue, cela pouvait relever du gros bon sens. Mais le «gbs» est une boussole bien approximative...

Car si la rainette est menacée, c'est parce que le développement immobilier gagne presque toujours. La quasi-totalité des demandes de construction dans un milieu humide sont approuvées autour de Montréal.

Voilà pourquoi la rainette est rendue menacée. Au lieu de se demander pourquoi elle bloque un projet, on devrait renverser la question : pourquoi presque chaque demande de destruction de ces écosystèmes est-elle approuvée (99%), presque toujours sans compensation (99%), au nom de la croissance des taxes foncières? Tout cela pour accélérer l'étalement urbain.

Dans sa décision, le juge Leblanc prend le recul nécessaire pour remettre le dossier en perspective. En fait, il remonte jusqu'aux origines de l'apparition de la vie.

La sixième extinction de masse de l'histoire de notre planète est en cours, rappelle-t-il. Et il s'agit de la première causée par une espèce, la nôtre.

Il ne manque pas d'outils juridiques pour s'y attaquer. Depuis le début du dernier siècle, le Canada a signé des conventions, ratifié des traités et adopté de nombreuses lois pour protéger la biodiversité. Elles valent pour toutes les espèces, même la rainette. On ne protège pas une espèce en fonction de son potentiel à être transformé en toutou.

Dans le cas de la rainette, les gouvernements Couillard et Harper avaient malgré tout ignoré l'avis de ses biologistes. À Ottawa, leur recommandation avait même été censurée.

En 2016, le nouveau gouvernement fédéral avait recouru pour la deuxième fois de son histoire à un décret d'urgence. Le premier ciblait le tétras des armoises, dans les Prairies. 

Le tribunal vient de confirmer à Ottawa qu'il n'a pas à craindre les recommandations de ses scientifiques. Reste qu'il serait préférable que le fédéral n'ait pas besoin de faire le travail du Québec.

Le prochain gouvernement du Québec devrait combler les trous dans nos lois et règlements.

À l'heure actuelle, les habitats fauniques sont moins bien protégés s'ils se situent en terrain privé. Pourtant, les écosystèmes ne vérifient pas les titres de propriété avant de disparaître...

La création d'aires protégées reste aussi déficiente. Il y a leur faible superficie, qui reste sous les engagements internationaux. Et il y a aussi la façon de les sélectionner. Avant de choisir les morceaux de territoire, Hydro-Québec, l'industrie minière et les autres grands acteurs se mettent à table. La protection se fait trop souvent avec leurs restes.

La biodiversité paraîtra toujours oisive aux politiciens obsédés par le court terme. Il est tentant d'avancer au rythme rapide du progrès. Mais c'est une avancée qui nous rapproche un petit peu plus vite du mur.

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