Tout va bien, claironne le gouvernement Trudeau des hauteurs d'Ottawa. Vu du ciel, en effet, il ne semble pas y avoir de problème à la frontière...

Si on cherchait une preuve de la désinvolture du ministre fédéral de l'Immigration, Ahmed Hussen, elle se trouve dans sa lettre envoyée mardi à Québec.

À la fin mars, le gouvernement Couillard avait sonné l'alarme. Les centres d'hébergement sont débordés. Il faut plus d'argent pour loger, instruire et soigner le nombre record de demandeurs d'asile, demandait Québec.

Trois semaines plus tard, M. Hussen répond enfin. Sa lettre commence par une longue enfilade de phrases autocongratulatoires. Le ministre fédéral se montre toutefois plus critique du Québec. La province n'a ouvert que quatre centres d'hébergement, alors que l'été dernier, il y en avait treize... Sous-entendu : s'il n'y a pas assez de places, c'est parce que Québec les a retirées.

M. Hussen prodigue même des leçons d'humanisme. « Nous devons éviter de causer des souffrances indues aux familles en quête de protection », prévient-il.

Facile à dire quand on juge le dossier à vol d'oiseau. En allant sur le terrain, toutefois, on comprend d'où vient la baisse des places. L'été dernier, Québec avait dû ouvrir des écoles pour répondre à l'afflux de migrants. Or, nous sommes en avril, en pleine année scolaire, et les écoles sont occupées par des écoliers.

Bien sûr, le Québec pourrait ouvrir plus de centres. Des locaux vides existent, comme l'ancien hôpital Royal Victoria. Mais ce n'est pas gratuit. D'où la demande d'aide.

Le chèque n'est pas encore arrivé, se plaint le gouvernement Couillard. Il pourrait s'aider en envoyant la facture - le fédéral attend encore la réclamation détaillée.

Mais même si cette facture arrive, le fédéral laisse déjà entendre qu'il restera les bras croisés. Il faudrait lui rappeler ses devoirs.

L'immigration humanitaire (réfugiés, réunification familiale) relève du fédéral. Quand un migrant demande l'asile au Canada, c'est le fédéral qui doit évaluer si sa vie est menacée, et s'il peut donc rester au pays.

Durant cette attente, le Québec et les autres provinces offrent des services de base. C'est normal -  la dignité humaine l'exige.

Or, plus le fédéral tarde à évaluer les demandes, plus Québec passe de temps à payer.

Il faut reconnaître que le gouvernement Trudeau s'améliore. Il a envoyé des émissaires aux États-Unis pour rappeler que seuls les migrants en réel danger seraient accueillis. Et il a aussi accéléré la délivrance des permis de travail. Dès qu'un demandeur obtient ce permis, il peut travailler, et ne reçoit plus l'aide de dernier recours des provinces.

Le fédéral se vante aussi d'avoir injecté 173 millions dans le dernier budget pour augmenter les ressources aux frontières. En effet, les demandes sont ainsi reçues plus rapidement. Mais elles ne sont pas évaluées plus rapidement. À cette seconde étape, la congestion demeure. En fait, elle empire - les délais s'étirent en moyenne sur près de deux ans. Deux années durant lesquelles Québec doit payer l'aide de dernier recours pour les demandeurs qui ne travaillent pas.

Si le nombre de demandeurs d'asile n'était pas si grand, ce serait gérable. Mais en 2017, ces arrivées ont augmenté de 700 % au Québec. Et si la tendance se maintient, il y en aura encore plus en 2018.

M. Hussen prétend que les transferts fédéraux ainsi que l'accord Canada-Québec sur l'immigration suffisent pour payer. Or, cet accord concerne les résidents permanents, et non les demandeurs d'asile.

La situation exceptionnelle exige une aide exceptionnelle. Québec a deux demandes : que le fédéral verse un chèque, et qu'il prenne en charge les demandeurs lorsque les centres d'hébergement sont occupés à plus de 85 %.

La première est tout à fait justifiée. La deuxième l'est moins. Le taux de 85 % paraît arbitraire. De plus, est-ce sage d'inviter le fédéral à occuper ce champ de compétence ? Pourquoi ne pas faire ce travail et demander un remboursement ?

Le gouvernement Trudeau répète qu'il veut faire fleurir la tolérance. Mais s'il ne veut pas créer des tensions inutiles au Québec, il doit s'assurer que l'afflux de migrants reste gérable.

On re-cite le ministre Hussen : « Nous devons éviter de causer des souffrances indues aux familles en quête de protection. » C'est vrai. Mais ce devrait être un « nous » inclusif.

PHOTO OLIVIER JEAN, Archives LA PRESSE

« Si le nombre de demandeurs d'asile n'était pas si grand, ce serait gérable. Mais en 2017, ces arrivées ont augmenté de 700 % au Québec. Et si la tendance se maintient, il y en aura encore plus en 2018 », écrit notre éditorialiste.

Afflux à la frontière

Nombre de demandeurs

2016

23 925 au Canada

Dont 5525 au Québec

2017

49 775 au Canada

Dont 24 980 au Québec, soit la moitié

2018

4828 à la frontière du 1er janvier au 31 mars

Soit une hausse 257 % par rapport à la même période l'année dernière

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion