Avant que le président Trump passe par là avec quelques bidons d'essence, le boycottage de l'hymne national avait presque été oublié.

Seule une poignée de joueurs de la NFL posait le genou ou levait le poing durant la cérémonie d'avant-match. Puis le président a mis le feu.

Sa réaction fut choquante même selon ses propres critères. À une foule majoritairement blanche en Alabama, il a demandé ce que des «gens comme vous» pensent de «ces gens-là» - les athlètes noirs qui boudent l'hymne national. Il a traité ces joueurs de «fils de pute» et suggéré qu'on les «congédie» (fire). En anglais, l'expression renvoyait à une phrase-clé de sa téléréalité. Et elle évoquait aussi un coup de pistolet, un double sens mimé pour la foule. 

Qu'est-ce qui l'enrage? Non pas le racisme... mais ceux qui dénoncent le racisme! Pourtant, à Charlottesville en août, le président avait la nuance plus aiguisée. Il découvrait 50 nuances de nazis - certains étaient de braves types, assurait-il.

On le comprend, avec ce double discours, l'escalade devenait inévitable dimanche. Environ 10 fois plus de joueurs qu'à l'habitude ont protesté d'une façon ou d'une autre durant l'hymne national. Est-ce efficace? Difficile pour l'instant de mesurer l'impact. Peut-être que cette cacophonie aide au contraire M. Trump à détourner l'attention des crises qui secouent Washington.

Mais chose certaine, l'indignation des joueurs était justifiée.

Le boycottage de l'hymne a été relancé lors de la précédente saison par Colin Kaepernick, alors quart-arrière suppléant des 49ers. Au début, on ne le remarquait même pas.

Son geste n'était pas inédit. Pour trouver un autre exemple, pas besoin de remonter aussi loin que l'image classique des sprinters sur le podium aux Jeux olympiques de 1968. Lors de la première guerre en Irak, Craig Hodges des Bulls de Chicago avait profité de la visite de son équipe championne à la Maison-Blanche pour remettre une lettre critique au président Bush. Et lors de la deuxième guerre d'Irak, le baseballeur Carlos Delgado restait assis lors de l'hymne national. Et il existe plusieurs autres cas.

Comme eux, Kaepernick n'a pas outrepassé son rôle. Certes, les athlètes n'ont pas le devoir de se positionner politiquement ni de servir de modèle. Comme l'a déjà dit le basketballeur Charles Barkley : ce n'est pas parce que je peux faire un slam-dunk que je dois élever vos enfants. Par contre, l'inverse n'est pas vrai. Un athlète n'est pas obligé de rester apolitique.

Même si le boycottage de Kaepernick touchait un sujet très sensible, il n'était pas non plus trop polarisant. Son message, en appui au mouvement Black Lives Matter, était assez simple : serait-ce possible, SVP, que les policiers cessent de tuer des Noirs non armés? Et ce, même s'ils sont «coupables» de conduire leur voiture tout en ayant la peau foncée?

Par son boycottage, le quart-arrière ne versait pas non plus dans la facilité. Il ne se magasinait pas une bonne cause. Au contraire, il en a peut-être payé le prix. Kaepernick est sans contrat depuis plusieurs mois. Pourtant, ses performances se situent à peu près dans la moyenne de la ligue, selon les observateurs. Il aurait été plus payant de se taire et de faire des pubs pour vendre des chips autant aux républicains qu'aux démocrates.

Si ces boycottages isolés ulcèrent tant M. Trump, c'est peut-être aussi parce qu'ils attaquent la religion civique des États-Unis, le football. 

Chaque dimanche, les Américains mettent de côté leurs différences pour communier à ce deuxième service religieux. C'est un symbole d'unité et même de patriotisme.

Le président Eisenhower disait que le sport était la meilleure préparation à la guerre. C'est particulièrement vrai du football, où des quarts-arrières dirigent leur équipe comme des généraux pour conquérir un bout de terrain. L'armée en a d'ailleurs pris bonne note. Depuis les années 70, elle investit les matchs avec ses militaires et jets pour polir son image.

Mais on devrait aller au bout de l'analogie avec la guerre. Les propriétaires sont blancs, tandis que les Noirs sont surreprésentés au front. Ce sont eux qui encaissent les commotions cérébrales qui risquent de les mener à l'hôpital psychiatrique.

M. Trump a déjà minimisé ce scandale. Selon lui, la NFL «gâche le sport» en protégeant - pourtant si peu - ses athlètes. La NFL répond maintenant en expliquant au président que c'est lui qui gâche son sport, et pas mal d'autres choses aussi.

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- Source : What's My Name, Fool? Sports and Resistance in the United States, Dave Zirin, Haymarket Books, 2005

PHOTO AP

Des joueurs des Raiders d'Oakland ont protesté, dimanche, contre les propos du président Trump.

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