Comment s'assurer que les futurs enseignants parlent bien français? Voici notre proposition innovante : ne plus les traiter comme des bouche-trous.

À leur sortie de l'université, les jeunes enseignants reçoivent les mandats les plus difficiles et précaires. Ils sont balancés d'une classe à l'autre, d'une école à l'autre, plus souvent qu'à leur tour en milieu défavorisé, avec un salaire modeste et peu de spécialistes pour les épauler auprès des élèves en difficulté. Est-ce vraiment ainsi qu'on pense attirer et retenir les meilleurs candidats?

La Presse+ a rapporté lundi que près de la moitié des futurs enseignants échouent le Test de certification en français écrit pour l'enseignement (TECFEE). On les laisse ensuite le reprendre autant de fois qu'ils le souhaitent. Pourtant, la maîtrise du français n'est pas un caprice élitiste. En attendant de pouvoir mimer le tableau périodique ou la bataille des plaines d'Abraham, on aura encore besoin de cet outil de base pour enseigner.

De nombreux chercheurs proposent de limiter à quatre le nombre de reprises du TECFEE. Le gouvernement Couillard se dit favorable, et c'est la moindre des choses. Il est déjà généreux de donner une dernière chance après trois prises. Reste que l'effet serait modeste. On ne retrancherait qu'une minorité de futurs enseignants - moins de 2% n'ont pas réussi le test après quatre tentatives.

La source des carences en français se trouve bien sûr en amont, au primaire et au secondaire. Il faut y travailler, mais ce programme est vaste... Il ne se réglera pas en quelques mois.

Pour recruter maintenant les meilleurs candidats à l'université, certains proposent que les départements d'éducation exigent une cote R plus élevée. L'idée n'est pas inintéressante, mais son effet serait limité, pour deux raisons. D'abord, parce que la cote R en soi n'est pas le seul facteur qui prédit la réussite au baccalauréat - des aptitudes sociales sont aussi déterminantes. Et ensuite, parce que cela ne règle pas le coeur du problème : l'enseignement n'est pas une profession assez attirante. Entre 2010 et 2015, le nombre de demandes d'admission a même baissé de 13%. Ce n'est pas en exigeant une moyenne plus élevée qu'on renversa cette tendance.

Cela peut sembler contre-intuitif, mais une des solutions à l'échec du test de français se trouve... après le test. Dans les conditions de travail des jeunes diplômés. Il faudrait leur offrir mieux que le double abandon actuel : manque de sécurité et manque d'aide.

Selon les portraits disponibles, les futurs enseignants sont attirés par la vocation humaniste. Mais leur abnégation a ses limites.

On accepte en éducation des choses qui seraient impensables ailleurs. Un cabinet d'avocats ne confie pas à son stagiaire son dossier le plus complexe en Cour suprême. Un hôpital ne laisse pas un médecin résident se débrouiller seul avec une opération à coeur ouvert. Pourtant, c'est ce qu'on fait dans nos écoles.

Un jeune enseignant commence sa carrière dans la précarité. On lui laisse le dernier choix. En plus, il devra enseigner dans différentes écoles ou préparer différents cours, parfois dans une matière pour laquelle il n'a pas été formé. Et il risque d'écoper des classes les plus difficiles - un phénomène aggravé par l'écrémage du privé et du public enrichi. Tout cela alourdit sa charge de travail. Cette précarité touche plus du tiers des enseignants au Québec. Elle constitue un «mode de gestion généralisé de la main-d'oeuvre» qui place les jeunes enseignants «en mode survie», critique le chercheur Maurice Tardif.

À cela s'ajoute le manque d'aide. Le jeune enseignant souffrira particulièrement de la pénurie de personnel spécialisé (orthopédagogue, psychoéducateur, etc.) face à l'explosion de cas d'élèves en difficulté. Et il risque de ne pas pouvoir compter sur la formation continue, qui n'est pas obligatoire. Ni sur le mentorat, qui reste l'exception - moins du cinquième d'entre eux en reçoivent. On comprend mieux pourquoi de 15 à 25% des jeunes enseignants auront quitté le métier après cinq ans.

Alors, comment améliorer le français? Si on veut avoir des candidats qui maîtrisent leur langue et qui restent motivés, il ne suffira pas de sortir la règle. On n'attire pas les mouches avec de si grosses tapes.

La source de la précarité

La précarité des enseignants n'est pas nouvelle. Elle tire ses origines des années 60 et 70. À l'époque, le boom démographique a mené à l'embauche de milliers d'enseignants. Or, le nombre d'élèves a diminué dans les années 80. On s'est alors trouvé avec un surplus d'enseignants.

Dans les années 90, la précarité durait en moyenne de 12 à 15 ans! Les jeunes enseignants passent aujourd'hui moins de temps dans la précarité.

- Sources : La profession enseignante et sa formation, Maurice Tardif (Université de Montréal) et Joséphine Mukamurera (Université de Sherbrooke). Publication à venir dans Le Québec économique 2017, CIRANO ; et Analyse des facteurs explicatifs et des pistes de solution au phénomène du décrochage chez les nouveaux enseignants, et de son impact sur la réussite scolaire des élèves, Thierry P. Karsenti (Université de Montréal) et al, 2015

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