Vient un moment où il faut s'entendre sur le fait qu'on ne s'entendra pas et récolter les gains, aussi modestes soient-ils, pendant qu'il est encore temps. C'est là qu'on est rendu avec la « neutralité religieuse » de l'État.

Le débat dure depuis une décennie. Il y a eu la commission Bouchard-Taylor, de nombreux projets de loi et encore plus de consultations. Tellement que pour le projet de loi 62 du gouvernement Couillard, des juristes n'ont même pas pris la peine d'écrire un mémoire. Ils ont simplement dirigé vers leurs analyses de... 2010. Car rien n'a changé depuis.

Tous les arguments ont été entendus sans qu'on avance. C'est dans ce contexte qu'a repris la semaine dernière l'étude du projet de loi 62.

On sait déjà qu'il ne satisfera pas tout le monde. Les attentes devraient être plus modestes: le gouvernement libéral ne doit pas reculer, ni faire un pas de côté qui aggraverait la confusion. Il doit avancer, en concrétisant les maigres consensus actuels, pour mettre derrière nous des tensions sociales déjà vives. Si un futur gouvernement souhaite ensuite renforcer la loi, il pourra construire à partir de cette base.

Malheureusement, des inquiétudes demeurent avec le projet de loi libéral. Même s'il ne changera pas grand-chose, ce pas grand-chose est mal compris. Pas surprenant, après tant d'années de débats hypertisans...

Après l'adoption de la loi, des décisions risquent ainsi d'étonner ceux qui croyaient que le voile intégral ou les accommodements religieux seraient désormais interdits. Le débat pourrait continuer de se refaire, un scandale à la fois.

LE VOILE INTÉGRAL À PEU PRÈS INTERDIT

Le maire Coderre s'offusque que la nouvelle version de la loi s'applique à Montréal. Or, la métropole n'est pas une principauté. Les grands principes de l'État québécois, comme sa neutralité face aux religions, la concernent. Et M. Coderre en exagère les effets.

La loi ne mettrait pas tout à fait fin au voile intégral (niqab et burqa) pour celles qui donnent et reçoivent des services de l'État. Elle le proscrirait de façon générale, mais permettrait les demandes d'accommodements à condition que cela ne nuise pas à la communication, la sécurité ou l'identification.

Or, le gouvernement n'ose pas le dire clairement. En point de presse, la ministre Vallée n'a pas réussi à dire ce qu'il adviendrait d'une femme portant le niqab dans l'autobus. On comprend qu'elle ne puisse pas trancher, car la décision ne relèverait pas de son gouvernement - selon la loi, un responsable de la STM jugerait chaque cas en fonction des critères de la loi. Mais la ministre devrait au moins expliquer ce processus.

Ne serait-ce pas plus simple d'interdire sans exception le voile intégral ? Pas vraiment. Il est déjà paradoxal qu'une loi sur la neutralité religieuse - qui doit empêcher l'État de discriminer une personne en fonction de ses croyances - ne cible qu'une religion en particulier. Par contre, le voile intégral est un signe religieux très particulier, un symbole intégriste et obscurantiste qui infériorise la femme.

Pour que la loi survive à une contestation judiciaire, on a donc trouvé une autre raison pour l'interdire, celle de la sécurité et de la communication.

Ce motif se défend bien - il a d'ailleurs été jugé valable par la Cour européenne des droits de l'homme. C'est aussi de cette façon que procédait la charte péquiste des valeurs québécoises.

Le projet de loi inscrit dans le même article les gens qui donnent et reçoivent des services de l'État. Toutefois, contrairement à un fonctionnaire, un simple citoyen ne représente pas l'État. Que fera-t-on d'une femme en niqab qui arrive en civière à l'urgence ? Ou dans l'autobus ? Si la sécurité et la communication sont les seuls critères, il sera difficile de distinguer en plein hiver entre un niqab et une cagoule.

Ces cas seront jugés à partir d'une jurisprudence qui penche déjà en faveur de la liberté de religion. Par exemple, en 2012, la Cour suprême a permis, dans un jugement d'une sophistication ésotérique, à une femme de témoigner le visage masqué dans un procès criminel. Mais toutes les demandes ne sont pas permises, comme le prouve l'expulsion au 2010 au cégep de Saint-Laurent d'une femme qui refusait tout compromis pour garder son niqab dans son cours de francisation.

On le voit, la loi ne réinvente rien. Des demandes ont déjà été faites, et parfois acceptées, dans l'état actuel du droit. M. Coderre exagère donc quand il craint une « police du niqab ». La loi ne fera que préciser et encadrer cette pratique. Si on croit que la loi « réglera » tout, on se magasine une grande déception.

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