Le Québec est doué pour la fête. Cette année, il ne cesse de souffler dans son gazou et d'applaudir sa survivance. Il y a le 375e anniversaire de Montréal, le 150e anniversaire de la Confédération et, hier, les habituels spectacles de la fête nationale. Mais le festivisme n'est pas la seule façon de célébrer une culture ou de commémorer l'histoire. Il existe une autre façon, plus plate mais importante : la transmission au quotidien du savoir et des archives.

C'est cela que néglige le gouvernement Couillard avec ses récentes compressions à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). En ce lendemain de veille de la fête nationale, le moment est bon pour prendre deux Tylenol et réfléchir à ce qu'on vient de faire.

En politique, une formule à la mode veut que nos élus doivent être « fermes sur les objectifs, mais souples sur les moyens ». Avec BAnQ, Québec semble plutôt ferme sur la gestion et souple sur la culture... Sa réflexion commence en scrutant la colonne de chiffres à la loupe, puis en ajustant en conséquence les commandes comptables. Si la culture en profite, tant mieux, mais ce n'est pas la priorité.

Bien sûr, il faut garder un sens de la mesure. La ponction demeure assez modeste : une coupe paramétrique de 1,8 % imposée à toutes les sociétés d'État en culture. Il n'y a pas eu de massacre à la tronçonneuse.

Reste que même s'il ne s'agit pas d'une saignée, la compression laisse songeur pour plusieurs raisons.

D'abord, à cause du passé. BAnQ est déjà rendue à sa cinquième ronde de compressions en 13 ans. Depuis sa création en 2004, l'institution suscite la méfiance du ministère de la Culture, qui compte deux fois moins d'employés. Vue de Québec, on trouve la créature bien grosse...

Ensuite, les coupes laissent aussi songeur à cause du contexte. Elles surviennent alors que les surplus budgétaires devaient permettre de réinvestir et que le réseau de bibliothèques publiques a une brise dans le dos. Mais Québec a plutôt réduit les dépenses alors que BAnQ était affaiblie par le départ de sa présidente-directrice générale.

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Le Québec souffre d'un retard historique pour l'alphabétisation, la fréquentation des bibliothèques et le ratio de livre ou de bibliothécaire par habitant. Depuis sa création en 1961, le ministère des Affaires culturelles construit pièce par pièce les institutions permettant ce rattrapage. Cela a culminé avec la création de BAnQ en 2004. Son mandat est vaste : acquérir, conserver et diffuser autant les archives nationales que les collections grand public. Il s'agit à la fois d'un réseau de diffusion du patrimoine et de bibliothèques, qui peut desservir un doctorant qui étudie l'histoire de la gravure tout comme un adolescent qui emprunte son premier roman.

Les compressions ralentiront ces deux grandes missions pourtant en plein essor.

Les heures d'ouverture ne seront pas réduites, ce qui est la moindre des choses, mais la Grande Bibliothèque n'est pas qu'un kiosque pour emprunteurs. Comme le veut la tendance mondiale, on voulait en faire un espace de rencontre et d'apprentissage offrant des conférences d'intellectuels, des activités familiales, des espaces pour les travaux d'équipe ou même des services pour les immigrants. La baisse du budget réduira quelque peu le nombre d'activités.

La numérisation des archives sera aussi ralentie, alors qu'on espérait au contraire que la cadence s'accélère pour faciliter la consultation du patrimoine dans toutes les régions.

Soyons clairs : on comprend que l'argent public doit être bien géré. On concède aussi que 23 des 29 postes supprimés seront dans les fonctions administratives. Et on reconnaît que le budget en culture augmentera dans l'ensemble cette année de 19 millions (hausse de 2,7 %), grâce à des investissements dans Télé-Québec ainsi que dans la musique et les médias. Enfin, on doit aussi rappeler que Québec rénovera ou construira des bibliothèques entre autres à Saint-Constant, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Québec (Gabrielle-Roy et Étienne-Parent).

Mais au-delà de ces annonces ponctuelles, on peine à rassembler ces points pour en extraire une vision d'ensemble. Un exemple : Québec se vante d'avoir confié à BAnQ la réfection de la vieille bibliothèque Saint-Sulpice... alors qu'une vaste campagne de protestation a été nécessaire pour convaincre le gouvernement de ne pas la vendre au privé !

Alors que BAnQ traverse cette période stratégique, Québec s'intéresse à nouveau aux virgules des chiffres. On rêve que le gouvernement troque sa loupe contre des jumelles, afin de se diriger vers une destination plus précise que l'à-peu-près non déficitaire.

Ce qu'on coupe

Pour BAnQ, la réduction de 1,8% du financement provincial équivaut à une perte de 850 600 dollars.

En plus de recevoir moins d'argent, ses dépenses d'opération augmentent à cause de la hausse des coûts de système (taxes, assurance, chauffage, progression dans les échelons salariaux).

Au net, cela signifie que le budget de fonctionnement doit être réduit de 2, 47 millions, sur un total d'environ 90 millions. Vingt-neuf postes permanents seront abolis, soit une baisse de 5%. Précisons toutefois qu'il y aura désormais 709 employés, soit trois de plus qu'à la fin de l'hiver 2016.

La Grande Bibliothèque, ce succès

• 42 000: C'est le nombre de visiteurs que la Grande Bibliothèque reçoit chaque semaine, ce qui dépasse même les prévisions les plus optimistes.

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