Le groupe armé État islamique (EI) n'en espérait pas tant. En attendant de le bombarder davantage, le président Trump vient de lui envoyer un cadeau du ciel. Un formidable argument pour recruter plus de soldats d'Allah.

Son décret suspend jusqu'à nouvel ordre l'accueil de Syriens ; suspend pendant quatre mois l'accueil de réfugiés (avec exception possible pour des minorités chrétiennes et autres); et il ferme les frontières pendant trois mois à certains pays musulmans (Irak, Iran, Libye, Somalie, Soudan et Yémen). Même si les détenteurs de carte verte pourront encore être admis, ils subiront des contrôles accrus, avec l'arbitraire que cela suppose.

La colère du monde musulman ne turlupine pas M. Trump. Ni le désarroi de ses alliés. Le président se félicite d'oser cette décision impopulaire qui défend «l'Amérique d'abord».

Il se félicite de prôner une «tolérance zéro» au risque d'attentat. Or, son remède n'est rien d'autre qu'un poison.

Le décret doit bien sûr être dénoncé pour des motifs humanitaires évidents, ainsi que pour sa mise en oeuvre chaotique déjà observée dans les aéroports. Mais il y a plus. Le décret est aussi tout simplement incohérent.

Si l'objectif est de protéger les Américains, le choix des pays est étrange. On n'y trouve pas l'Arabie saoudite, d'où venaient la majorité des kamikazes du 11 septembre 2001. Et il y a un autre pays oublié, où sont nés plusieurs auteurs d'attaques: les États-Unis eux-mêmes... Tous les attentats et fusillades sur le sol américain ne proviennent pas de terroristes, et tous les terroristes ne proviennent pas de l'étranger. Par exemple, l'auteur de la tuerie de San Bernardino, Syed Rizwan Farook, est né à Chicago et sa femme a grandi au Pakistan.

Cette fin de semaine, les partisans de M. Trump s'accrochaient à un exemple : les attentats à Paris, perpétrés en partie, disent-ils, par des réfugiés syriens. Or, c'est inexact. Deux des terroristes ont bel et bien utilisé la route des migrants, avec un faux passeport syrien. Mais il s'agissait d'Européens qui se sont rendus en Syrie pour s'entraîner. Le décret présidentiel ne les forcerait aujourd'hui qu'à changer leur stratégie.

Ajoutons à cela que les comparaisons avec l'Europe restent boiteuses. Les États-Unis sont séparés par un océan et ne sont pas fragilisés par l'espace Schengen.

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Le décret de M. Trump paraît donc inefficace et inhumain. Si ce n'était que cela... Car loin de protéger les États-Unis, il risque de les menacer.

Cette lecture se trouve dans un manuel du groupe État islamique lui-même. Un de ses principaux théoriciens, Abou Moussab al-Souri, le résume dans son «Appel à la résistance islamique mondiale». Le but : polariser l'Occident. Provoquer des conflits entre les «infidèles» et les musulmans. Les victimiser pour les forcer à choisir leur camp.

En plus de son décret sur l'immigration, M. Trump a commandé à ses généraux un plan pour défaire l'EI. Il y a un lien à faire entre ces nouvelles.

L'EI agit sur deux fronts. Dans la région de la Syrie et l'Irak, où il territorialise son djihad avec sa tentative de califat. Et en Occident, où il inspire et parfois organise des attentats.

L'EI n'est que le nouveau visage du terrorisme islamiste, et les bombes ne suffiront pas à l'annihiler. 

Il y avait un avant, et il y aura un après. Et surtout, si l'EI perd du territoire, il risque d'intensifier ses efforts sur l'autre front. Pour semer la violence et la haine en Occident, il n'a besoin que d'une poignée de recrues.

La pression est déjà immense sur les services de renseignement. Il ne faudrait pas compliquer leur travail en libérant un discours haineux qui marginaliserait les Américains musulmans. Qui leur enlèverait le goût de dénoncer les comportements suspects.

Le décret de M. Trump offre donc une protection bien incertaine aux Américains et risque de motiver ses ennemis. Bien sûr, il s'agit de probabilités, et non de certitudes. Mais rien ne justifiait de poser le pied dans un tel engrenage.

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