Un nouveau type de sauveur apparaît dans la course à la direction du Parti conservateur : l'homme d'affaires. Son programme : lui-même...

Il prétend que l'État s'effondrerait sous le poids de son incompétence. Pour freiner le gaspillage, il propose de le gérer comme une entreprise.

Cet homme providentiel prétend se situer au-delà des étiquettes gauche-droite.

Il propose moins des idées qu'une expertise. Son talent pour gérer la machine étatique et négocier de bonnes transactions.

Le désabusement face aux politiciens crée un terreau fertile. Mais même si le diagnostic peut plaire, le remède n'en demeure pas moins simpliste et parfois dangereux.

Bien sûr, il n'y a rien de mal à ce qu'un entrepreneur se lance en politique, et il n'y a rien de mal non plus à vouloir mieux gérer les programmes de l'État. Le problème, c'est de plaquer le modèle de l'entreprise privée sur la politique. Par exemple, comment fait-on pour protéger l'air comme une entreprise ? Pour planifier les missions de l'OTAN comme une entreprise? Et la crise des opioïdes?

***

La proposition la plus absurde est venue la semaine dernière de la bouche du candidat O'Leary, qui songeait à rentabiliser le Sénat en vendant les sièges à «100 000 ou 200 000 $». Cela mènerait à une ploutocratie, en plus de violer la Constitution. Mais oublions ces petits détails pour examiner les autres problèmes.

D'abord, un homme ou une femme d'affaires n'est pas forcément un bon politicien. Il n'existe pas un modèle unique d'entrepreneur ou d'investisseur. Certains sont des bâtisseurs exemplaires qui créent des emplois, tandis que d'autres s'enrichissent à court terme en spoliant les actionnaires et les travailleurs.

Un voyant jaune devrait s'allumer quand un dirigeant claque la porte en laissant derrière lui la colère et les poursuites.

Ensuite, gérer une entreprise n'est pas tout à fait la même chose que gérer une économie. Un premier ministre ne contrôle pas à lui seul la création d'emplois dans le privé. Il tente d'abord de mettre en place les conditions favorables à leur création. Et cela n'implique pas que la fiscalité et les subventions - il y a aussi la santé et l'éducation des travailleurs, et la qualité des milieux de vie pour les attirer.

Cela nécessite des arbitrages. Comme Donald Trump, M. O'Leary se vante de savoir comment conclure des transactions «gagnantes». Mais gagnantes pour qui, en fonction de quoi? La réponse dépend de valeurs et de principes que l'on défend.

***

Avançons une interprétation charitable. Présumons que les biens publics, tels l'environnement et la défense, ne seraient pas gérés comme une entreprise. Imaginons que l'approche du privé ne concernerait que la gestion des programmes de l'État.

Cela consisterait à chiffrer les objectifs de ces programmes, puis créer un système d'incitatifs pour récompenser les succès ou punir les échecs. De tels modèles existent déjà, et leur bilan est mitigé. Ils génèrent une bureaucratie de la reddition de comptes, comme l'a démontré le politologue Donald Savoie. De plus, les quotas génèrent des effets pervers. Par exemple, Service Canada demandait à ses employés de récupérer 485 000 $ chaque année aux demandeurs de l'assurance emploi, ce qui les incitait à harceler des demandeurs. Autre exemple : pour atteindre ses objectifs, l'Agence du revenu va s'attaquer aux dossiers plus simples de fraude fiscale en priorisant les petits poissons qui ne déclarent pas leur pourboire, au lieu d'embêter les requins dans les tropiques fiscaux...

On insiste, l'expérience en affaires ne discrédite pas un candidat. Elle peut constituer un atout, mais à condition de ne pas bêtement vouloir en reproduire les solutions dans l'État et dépolitiser la chose publique. Un monde différent où les idées, les valeurs et les principes doivent s'affronter.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion