Le voyage de Justin Trudeau et d'autres libéraux sur l'île privée de l'Aga Khan n'est peut-être pas le scandale que dénonce l'opposition, mais il dénote un réel danger. Celui d'une lente dérive vers l'insouciance et l'arrogance.

Durant les vacances de Noël, le premier ministre s'est rendu sur l'île de Karim Al-Husayni, chef spirituel des musulmans ismaélites. Il était accompagné par sa famille ainsi que deux couples libéraux, ceux de son député Seamus O'Regan et de la présidente du parti Anna Gainey. L'hôte milliardaire leur a offert le voyage de 40 minutes en hélicoptère des Bahamas jusqu'à son petit coin de paradis.

L'Aga Khan est un ami de la famille - il était un des porteurs lors des funérailles de Trudeau père en 2000. Mais c'est aussi le dirigeant d'une fondation inscrite au registre des lobbyistes.

M. Trudeau a possiblement violé la Loi sur les conflits d'intérêts, qui ne permet un tel vol privé que sous trois conditions : s'il est requis pour le travail (ce n'était pas le cas), s'il est autorisé au préalable par la commissaire à l'éthique (ce n'était pas le cas non plus) ou encore s'il est justifié par des circonstances exceptionnelles (cela porte à interprétation). À la demande de l'opposition, la commissaire à l'éthique s'y intéressera bientôt.

Si le sujet préoccupe, c'est pour ce qu'il révèle de M. Trudeau : un décalage entre la parole et les gestes en matière d'éthique.

L'automne dernier, des médias ont révélé les nombreux cocktails de financement où des ministres se déplacent pour rencontrer en privé une poignée de gens d'affaires en échange d'un chèque de 1500 $ au Parti libéral. Pourtant, M. Trudeau s'était engagé à n'offrir aucune «apparence d'accès préférentiel» en échange d'argent.

Certes, le gouvernement Harper organisait lui aussi de telles activités de financement. Mais cela ne justifie pas pour autant cette vieille pratique, qui place inutilement les ministres dans une position délicate. La Colombie-Britannique, l'Ontario et le fédéral s'éveillent depuis quelques mois à ces risques que le Québec connaît trop bien.

À ce dossier s'ajoute maintenant celui du séjour sur l'île caribéenne de l'Aga Khan. Dans les deux cas, M. Trudeau s'est défendu en vantant la transparence et l'accessibilité de son gouvernement.

Il est vrai que les libéraux multiplient les rencontres avec les médias et la population, mais leur accessibilité est à deux vitesses. Une écoute particulière est offerte aux amis ou à ceux qui signent un chèque assez généreux.

De plus, cette accessibilité «premium» vient avec une certaine discrétion... L'automne dernier, les libéraux n'ont pas voulu dévoiler la liste des participants au cocktail privé. Et ils ont refusé aussi de répondre aux premières questions sur le voyage de Noël de M. Trudeau. Il a fallu que des reporters insistent pour que le bureau de M. Trudeau en égrène les détails.

Déjà, on en constate les conséquences. M. Trudeau n'assistera pas au Forum économique mondial de Davos, où il aurait pu échanger avec d'autres chefs d'État et investisseurs. Il se lance plutôt dans une tournée pancanadienne pour prouver qu'il écoute les gens ordinaires. Cela devrait consolider sa place au sommet des sondages. Mais il ne devrait pas confondre la popularité avec la probité.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion