Malgré tous les efforts de l'industrie du commentaire, il n'existe pas encore de théorie unifiée de Donald Trump. Pas d'explication claire et cohérente pour comprendre son improbable élection.

Est-ce l'oeuvre d'une nouvelle catégorie anthropologique, l'homme-blanc-de-la-classe-moyenne ?

Faut-il plutôt blâmer l'anxiété économique ? La misogynie ? Un ressac raciste ? Une écoeurantite aiguë face à l'establishment de Washington ? Ou est-ce carrément un flirt avec l'autoritarisme de patriotes ?

Il y a sans doute du vrai dans chacune de ces pistes. Mais avant de sonder ces opinions, il faudrait peut-être vérifier comment elles se construisent. Les Américains n'ont peut-être jamais autant vécu dans des bulles.

Certes, la polarisation souvent évoquée n'a rien de neuf. On parle après tout d'un pays qui a connu une réelle guerre civile...

La montée du populisme, qui oppose le peuple à un ennemi ciblé, n'est pas inédite non plus. Comme l'a récemment rappelé l'historien Michael Kazin dans Foreign Affairs, ces courants ont déjà pris la forme d'une réaction à l'injustice économique (People's Party en 1892), d'une dérive xénophobe (Workingman's Party en 1877) ou d'une montée de l'isolationnisme (America First Committee).

Qu'y a-t-il alors de neuf avec les tensions qui divisent aujourd'hui les Américains ? On lance une piste : les nouvelles technologies, qui offrent des moyens inédits de s'enfermer dans une bulle idéologique.

Le paradoxe est total. Pendant que les distances physiques entre citoyens ont été réduites grâce aux nouveaux moyens de transport et de communication, les distances psychologiques semblent croître.

Ce n'était pas censé se dérouler ainsi. En diffusant plus que jamais d'informations, l'internet devait stimuler les échanges et confrontations d'idées. Mais c'était sous-estimer deux problèmes.

Le premier vient des entreprises qui permettent aux internautes de filtrer leur information, ou le font à leur insu. Avant même la naissance de Facebook, le constitutionnaliste Cass Sunstein mettait déjà en garde contre ce biais. Cela n'a fait qu'empirer, comme le démontrait en 2011 l'essai The Filter Bubble.

Par exemple, des évangélistes s'échangent entre eux des textes contre l'avortement, qui risquent aussi de s'afficher davantage dans leurs recherches Google ou leurs réseaux sociaux. La même logique vaut pour toutes les autres sous-catégories de l'électorat. C'est ainsi que les militants de l'économie collaborative peuvent vivre dans la même ville que les travailleurs sacrifiés par ces technologies, sans jamais vraiment obtenir leur point de vue.

Le second problème vient des électeurs eux-mêmes. Il existe une tendance naturelle, le biais de confirmation, à chercher ce qui valide nos opinions.

Et si ces opinions sont contredites, un effet de repli peut s'observer. Des chercheurs de l'Université de Darmouth* l'ont observé avec des militants anti-vaccin : lorsqu'on leur démontre que le vaccin contre la rougeole ne cause pas l'autisme, ils deviennent encore plus convaincus du contraire...

On peut ajouter à ce cocktail explosif l'impact de certaines chaînes américaines d'information en continu, qui transforment la campagne en spectacle ou en derby de chevaux, avec des débats qui accordent un même poids aux « deux côtés de la médaille » - parfois autant celui de la vérité que du mensonge.

Pas facile de digérer toutes ces informations puis d'en ressortir avec une opinion rationnelle.

On insiste, ces bulles ne suffisent pas du tout à expliquer la victoire de M. Trump. Mais elles permettent de comprendre un certain échec du débat, qui est aussi un échec démocratique. Car sans discussion éclairée, la démocratie n'est que la tyrannie de l'opinion.

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