Il arrive, parfois, que le gouvernement ne soit pas responsable. Que même lorsqu'une tragédie est absurde et évitable, elle ne se règle pas par une loi.

L'horrible décès d'Éloïse Dupuis en a hélas fourni une nouvelle preuve. Il y a deux semaines, la témoin de Jéhovah accouche par césarienne à l'hôpital Hôtel-Dieu de Lévis. Malgré son hémorragie, elle refuse une transfusion sanguine à cause de son dogme. Le bambin a survécu. Pas elle.

Deux enquêtes ont été déclenchées. Celle du coroner déterminera les causes du décès, et celle de la police vérifiera s'il y a eu négligence criminelle.

Pour l'instant, les témoignages sont contradictoires. Mme Dupuis avait signé sa carte pour refuser une transfusion. Selon une version, elle aurait réitéré ce souhait avant de mourir. Mais selon sa tante, les traitements (médicaments et opération) ainsi que l'influence des témoins de Jéhovah l'ont empêchée de prendre une décision libre et éclairée.

En attendant le résultat des enquêtes, la Coalition avenir Québec (CAQ) demande au gouvernement de changer la loi. Elle veut que les juges valident le consentement d'un patient lorsque des raisons religieuses sont invoquées pour refuser un traitement. Or, tout indique que cette solution serait inapplicable et même nuisible.

On comprend la CAQ de ne pas hausser les épaules en assimilant ce décès à une simple manifestation de la liberté de choisir. Et le parti de François Legault a raison de braquer les projecteurs sur la manipulation des dévots fervents. Le Soleil a rapporté la semaine dernière qu'une escouade spéciale des témoins de Jéhovah veille à ce qu'aucun membre n'accepte une transfusion. Sinon, il sera expulsé - quoique l'expulsion doit être plus difficile à exécuter quand la personne en question meurt. Tout cela pour une interprétation ridicule de passages de la Bible que ce groupe ne suivait même pas à ses débuts...

Mais on ne peut empêcher sans raison une personne de refuser un traitement. En effet, ce refus n'est pas une exception accordée aux croyants. C'est un droit que possède tout adulte, athée ou croyant. Il découle de l'autonomie inviolable du patient, protégée par plusieurs lois. Ce principe fonde d'ailleurs l'aide médicale à mourir.

Le consentement doit toutefois être libre et éclairé. Pour le vérifier, les hôpitaux utilisent déjà des comités formés de médecins et autres spécialistes. Ils doivent s'assurer entre autres que le patient n'est pas inapte ou manipulé. Confier cette décision à un juge ne ferait qu'alourdir ce processus. Elle devrait être prise par le médecin, celui qui connaît le mieux le patient et son entourage.

La religion n'est pas ce qui permet un refus de traitement. Mais devrait-elle par contre enlever ce droit ?

En théorie, on pourrait soutenir qu'un membre d'une secte est par définition endoctriné, à un point tel que son consentement n'est pas libre. Or, un tel jugement serait tout à fait inconstitutionnel, car il retirerait les droits fondamentaux d'un groupe à cause de ses croyances. Et il plongerait l'État dans des débats théologiques insolubles. Il faudrait en effet déterminer quels dogmes religieux sont compatibles avec la raison. On en aurait encore pour quelques siècles à en débattre...

Depuis les « estrades », on peut penser que les médecins n'en font pas assez pour protéger les patients contre eux-mêmes. Ce serait toutefois oublier qu'ils sont les premiers à être troublés par ces cas désespérants, et aussi qu'ils ont les mains liées par la jurisprudence. En 1990, la Cour d'appel ontarienne a donné raison à une témoin de Jéhovah qui avait poursuivi son médecin pour lui avoir sauvé la vie ! Inconsciente après un accident de voiture, elle avait reçu une transfusion sanguine, même si elle avait auparavant signé sa carte de refus.

La CAQ a raison de braquer les projecteurs sur ces dogmes qui tuent, mais la solution ne passe pas par une loi, à moins de vouloir s'attaquer à l'autonomie des patients et à l'aide médicale à mourir.

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