L'embourgeoisement, ou gentrification, est une mauvaise façon de nommer un vrai problème.

Ce mot fourre-tout désigne à la fois un phénomène positif, la revitalisation d'un quartier, et ses conséquences négatives pour certains résidants. Il faut les départager pour mieux trouver les véritables solutions. Ce qui exclut par exemple de piller un magasin de saucisses, comme un groupuscule d'anarcho-vandales a cru bon de le faire la semaine dernière à Saint-Henri.

Le débat en soi peut paraître étrange. En effet, Montréal ne souffre pas d'une explosion de richesse. Ni de pauvreté - le taux a reculé depuis les années 90.

La population change peu, mais elle se loge différemment. Elle vit plus que jamais seule (près de la moitié des Montréalais, contre le tiers en 1981). Malgré l'exode vers la banlieue, certains reviennent ou du moins restent en ville. Ils choisissent notamment le Sud-Ouest ou Hochelaga-Maisonneuve pour le prix et parfois même pour la mixité sociale.

Il ne s'agit pas d'une rupture, mais plutôt d'un retour au milieu du dernier siècle, où des rues de notables se trouvaient dans chacun de ces quartiers. Cela renverse l'étalement urbain, en plus de créer une pression pour augmenter le nombre d'écoles, de parcs, de commerces de proximité et de services de transports collectifs. Ces quartiers se transforment ainsi en milieux de vie agréables.

Tout cela est positif ! Le problème se trouve ailleurs, dans la pression à la hausse sur le prix des loyers et de certaines denrées. Voilà ce à quoi il faut s'attaquer.

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Après cette frénésie du condo, le marché se rééquilibre enfin en faveur des locataires. Cette année, il y aura plus de logements locatifs mis en chantier. Et il y en aura aussi plus à louer. La pénurie n'existe plus, à part pour les grands logements pour familles dans certains secteurs.

Le marché ne suffira pas à rattraper le terrain perdu. Le politique doit intervenir pour construire plus de logements sociaux et abordables.

Or, dans son dernier budget, le gouvernement Couillard a reculé au lieu d'avancer, en réduisant de moitié le nombre de logements sociaux pour Montréal (de 1100 à 550). Heureusement, Ottawa compensera cette année en doublant son aide.

Il faudrait maintenant rendre le financement pluriannuel, pour que Montréal puisse planifier ses interventions à plus long terme. Par exemple, en réservant des terrains pour de nouvelles constructions sociales.

Reste que les élus ne sont pas responsables de tous les maux, comme le démontre le Technopôle Angus. En échange d'une dérogation au zonage, Montréal a demandé la construction de logements abordables. Le promoteur a accepté, mais un petit groupe de résidants du quartier s'y oppose, par crainte entre autres que les moins riches ne dévaluent leur propriété...

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Au-delà de l'urbanisme et du logement, ces tensions ont une cause culturelle.

Cela se révèle entre autres dans les termes marxistes utilisés par les protestataires, comme « bourgeoisie » et « gentrification ». Ils déplorent que leur quartier autrefois ouvrier accueille un nouveau groupe de jeunes éduqués, qualifié parfois de « classe créative ».

Au risque de caricaturer, cette nouvelle classe se définit par sa consommation de bouffe bio, de produits artisanaux et d'autres biens « ostentatoires », comme le prévoyait l'économiste Thorstein Veblen.

Bien sûr, de tels marchands ne provoquent pas la hausse générale du prix des denrées, et leurs clients non plus. Le conflit est donc plus identitaire qu'économique. Il est en effet plus facile de haïr ceux qui sont juste un peu différents, et situés pas trop loin de soi.

Ces tensions sont difficilement évitables, mais elles restent préférables à la ghettoïsation. Car qui pense sérieusement que c'est en côtoyant moins les pauvres qu'on se préoccupera d'eux ?

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