C'est d'une incompréhensible ironie. Le projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir devait permettre à une malade comme Kay Carter d'obtenir le suicide assisté. Mais il pourrait plutôt servir à l'en empêcher.

La raison : il introduit un concept flou, la « mort raisonnablement prévisible ».

Ce qui est surtout prévisible, c'est que cela ramènera à la case départ. À un retour aux poursuites en cour.

En février 2015, la Cour suprême se penchait sur le cas de Kay Carter, atteinte de sténose spinale. Cette maladie n'est pas mortelle, mais elle est incurable. Elle lui cause des souffrances constantes et intolérables, tellement qu'elle veut mourir. Elle réclame donc le suicide assisté. Or, le Code criminel l'interdit.

Cela viole ses droits fondamentaux, statuent les juges. La Cour exige que l'aide médicale à mourir soit permise sous certaines conditions : un adulte atteint d'une maladie « grave et irrémédiable », aux souffrances « persistantes » et « intolérables », et qui y consent de façon éclairée.

Le jugement ne spécifie pas que le malade doit être en fin de vie. Ce n'est pas parce que la Cour refuse de répondre à cette question. Au contraire, c'est parce que sa réponse est évidente. Il s'agit du coeur du jugement. La cause porte sur Mme Carter, dont la maladie ne conduit pas à la mort - une personne peut vivre pendant des décennies même si elle souffre de sténose spinale.

Dans son projet de loi déposé hier, Ottawa introduit malgré tout cette contrainte aussi floue que surprenante. En plus de violer l'esprit du jugement Carter, elle sera périlleuse à appliquer. Difficile en effet de savoir quand la mort devient « raisonnablement prévisible ». Est-ce quand il reste six semaines à vivre ? Six mois ? Deux ans ? Ce sont les médecins qui devront le définir à l'usage.

Il est normal de permettre aux médecins de trancher en fonction de la spécificité de chaque patient. Mais cette latitude irait trop loin avec la nouvelle loi. Elle les placerait devant une situation très difficile.

Qu'est-ce que la mort « raisonnablement prévisible » ? Si son interprétation est trop restrictive, le médecin prolongera l'agonie de son patient, et ce malgré son souhait de mourir. Mais si son interprétation va trop loin, il commettra, au sens de la loi, un homicide. On a aussi oublié de penser à eux.

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À sa décharge, le gouvernement Trudeau était placé devant une mission presque impossible.

Le Québec a pris six années avant d'adopter sa loi. À cause du délai imposé par la Cour suprême, M. Trudeau n'aura eu que six mois. C'est bien peu pour réfléchir. Et bien peu pour créer un vaste consensus qui rallierait les conservateurs, plus réfractaires à l'aide médicale à mourir.

Le rapport parlementaire déposé cet hiver n'a pas aidé. Il s'est contenté d'ouvrir toutes les portes possibles. On y suggérait d'autoriser le suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale. Et même aussi, d'ici trois ans, pour les mineurs « matures ».

Certes, la Cour suprême ne l'interdisait pas. Mais elle ne l'exigeait pas non plus. Le gouvernement Trudeau a ainsi eu raison de ne pas ouvrir toutes ces portes sans avoir mené ce débat profond et sensible.

Il ne faut pas sauter les étapes. Mais cela n'excuse pas d'échouer à la toute première en inventant un concept qui n'était ni rationnel ni prévisible.

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