Certaines idées reçues reviennent comme la mauvaise herbe. Au lendemain de la campagne électorale, plusieurs accusaient les sondeurs de ne pas avoir prévu la victoire libérale. Ou même d'être carrément incapable de le faire, car les campagnes seraient devenues trop imprévisibles. La vérité est un peu plus complexe.

Dans les années 70, un chercheur avançait que le battement d'aile d'un papillon au Brésil pouvait provoquer une tornade au Texas. L'image célèbre a mené à un hyperscepticisme de salon. Dans notre univers chaotique, les prédictions seraient devenues impossibles. Et quand on parle de phénomènes intangibles comme une intention de vote, on nagerait dans un mystère enveloppé d'une énigme.

Et pourtant, il y a des prévisionnistes qui possèdent une bonne moyenne au bâton. Le politologue Philip Tetlock explique pourquoi dans Superforecasting, cosigné avec Dan Gardner.

Tetlock a déjà démontré qu'un singe jouant à pile ou face prédirait mieux le cours de la Bourse que plusieurs « experts ». Mais il est plus facile d'exhiber la bêtise que d'expliquer l'intelligence. C'est à cette tâche que s'attaque son dernier essai.

Comment reconnaître les bons prévisionnistes ? D'abord, par leur personnalité. Ce ne sont pas des idéologues qui analysent les faits à travers le prisme d'une grande théorie, comme réduire la taille de l'État. Ensuite, par leur façon de résoudre un problème. Au lieu de chercher des informations pointues pour valider leur hypothèse de départ, ils prennent un pas de recul, grappillent des informations de différentes sources, puis s'ajustent quand les faits les contredisent.

Ils parlent en probabilités, et non en certitudes. Bref, ils ennuient les médias... Tetlock a même observé que plus un expert est médiatisé, moins il est fiable.

Au début du mois d'octobre, Maclean's interviewait trois « superprévisionnistes » de l'étude de M. Tetlock. Leur verdict ? Ils n'avaient pas prévu une victoire libérale majoritaire. Mais à leur décharge, leur jugement était ponctué de réserves, et la montée libérale n'était pas terminée.

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Les limites des sondages ont été soulignées avec raison. La première, c'est que chaque sondage est un polaroid. Mieux vaut donc agréger ceux dont la méthodologie est robuste afin d'obtenir une vision d'ensemble.

L'autre limite, c'est qu'en convertissant les intentions de vote en projections de sièges, on fait une estimation à partir d'une estimation. Cela multiplie les possibilités d'erreur. Surtout lorsqu'on jongle avec plusieurs variables interdépendantes, comme dans une course à quatre partis.

Malgré tout, en fin de campagne, quelques sondeurs étaient très près du résultat final. Peut-être que le problème réside non pas dans les chiffres, mais dans leur interprétation.

En effet, on oublie qu'il s'agit de probabilités. S'il y a 80 % de chance qu'il pleuve, cela signifie qu'il n'y aura pas de précipitation deux jours sur dix. Cela ressemble un peu aux projections de sièges qui venaient avec un minimum et un maximum, mais qu'on réduisait à un chiffre précis.

Avant d'accuser les sondages d'un trait ou d'en limiter la publication, mieux vaudrait apprendre à bien les interpréter. Et comprendre que l'incertitude n'équivaut pas à l'ignorance.

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