Avec leur froid langage des chiffres, les assureurs n'attirent pas autant les caméras qu'un artiste indigné. Mais il faudrait les écouter davantage au sujet du climat. C'est ce qu'on conclut d'un brillant discours du gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, prononcé mardi devant le marché d'assurance Lloyd's.

Dans la lutte contre les changements climatiques, l'ennemi numéro 1 est la myopie. Or, c'est la tendance naturelle. Une multitude d'études démontre qu'on sous-estime un risque s'il n'est pas immédiat. Et ce biais est aggravé par la politique, où les partis ne proposent un plan que pour un horizon de quatre ans, ainsi que par la finance, où de nombreux investisseurs cherchent avant tout un rendement à court terme.

Tout incite à pelleter le problème vers l'avant jusqu'à ériger un mur. C'est ce que Carney nomme la « tragédie des horizons ».

Pour élargir la perspective, on peut s'inspirer des spécialistes du calcul de risques, comme les assureurs. Que constatent-ils ? Que les réclamations pour des intempéries ont quintuplé depuis les années 80. Et qu'en raison des changements climatiques, ces catastrophes deviendront à la fois plus fréquentes, imprévisibles et coûteuses.

Par exemple, le niveau de l'eau a augmenté de 30 centimètres à New York depuis les années 70. Cette vulnérabilité a fait hausser de 10 milliards les réclamations lors de l'ouragan Sandy en 2012. Un autre ouragan, Joaquin, risque de frapper la côte Est américaine cette fin de semaine.

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La science prévoit que pour limiter les dégâts, le climat ne doit pas se réchauffer au-delà de 2 0C par rapport à l'ère industrielle. Afin d'atteindre cette cible, on estime que les deux tiers des réserves connues en énergie fossile doivent rester enfouis. Or, la valeur des sociétés en énergie est basée sur la totalité de leurs ressources, même si la majorité était ainsi inutilisable. Cette bulle menace de se dégonfler à moyen ou long terme.

Ce ne sont pas seulement des écologistes qui le préviennent, mais aussi la Banque HSBC et des investisseurs comme le groupe Risky Business, formé d'ex-secrétaires du Trésor américain, dont Henry Paulson, qui a servi sous Bush fils.

Depuis l'année dernière, le Montréal Carbon Pledge incite les gros investisseurs à dévoiler le poids des énergies fossiles dans leur portefeuille. La Caisse des Dépôts de la France y participe notamment. D'autres grands fonds, comme le Rockefeller Brothers Fund, délaissent carrément ce secteur.

La prochaine grande rencontre sur le climat se déroulera à Paris en décembre. Même si les États adoptent des cibles sérieuses de réduction de gaz à effet de serre, cela ne suffira pas. Tant que les paramètres du marché seront viciés, ses effets le seront aussi. D'où l'urgence de faire payer à chacun sa pollution au lieu de permettre d'en refiler le coût à la société.

Que proposent à cet égard les candidats au poste de premier ministre canadien ? Nous y reviendrons bientôt.

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